Analyses transversales

 

Métaphores iconiques

L'essai en bande dessinée

Image et représentation

Difficulté de la communication

Traumatisme

 

 

Image et représentation

Dès le début du volume I (page 28), le narrateur rappelle l'importance qu'a pour lui le problème de la représentation : « ...Ça nous a même replongés dans les problèmes liés à toute représentation, à l'image, à son statut, etc. En fait, ça nous a permis de nous remettre à nos préoccupations principales (...) ».

Représentation en général

Cette problématique se décline de multiples façons. D'une manière très générale, le narrateur s'interroge, explicitement ou non : Comment représenter l'unique en dessin ? Comment garder ce qui fait la force et la beauté d'un être, d'un tableau ? (Le narrateur compare la représentation d'un chef-d'œuvre de Richter et celle d'un tableau de Binus, le portrait d'un jeune homme anonyme et celui de Dominique.) La problématique est particulièrement présente en bande dessinée, médium qui requiert une certaine stylisation du dessin.

Une image revient de façon extrêmement fréquente pour symboliser cette importance de la représentation et du regard : celle de l'appareil photographique.

La représentation de l'entourage du narrateur

Plus concrètement, le sujet de la représentation de l'entourage du narrateur/auteur est également sous-jacent à l’ensemble du Journal.
Les personnages secondaires ne sont nommés que par leurs initiales. La ville où a lieu le Journal n'est pas nommée. Seuls quelques lieux sont, relativement schématiquement, représentés, ce que rappelle le narrateur dans le volume 4.

L’expérience effectuée dans le n° 7 d’Ego comme X est passionnante à cet égard : pendant une quarantaine de pages le narrateur raconte ses rapports avec Émile (est-ce d'ailleurs seulement son vrai nom ?). Mais suite à ses déboires dus à la parution des tomes précédents, il choisit de ne plus représenter aucune personne réelle et donc en particulier il ne dessine pas Émile, bien qu'il en meure d'envie. Comme mettre en images l'amour que l'on éprouve pour quelqu'un en s'interdisant toute représentation explicite de l'être aimé ?

Art et réalité, droit à l'image

 

 

Représentation de l'être aimé

Le souhait de dessiner est-il pour Fabrice la raison ou la cause de l'amour ? Dessiner l'être aimé est d'une importance capitale pour lui. C'est peut-être par là, autant que par le récit d'événements intimes, que Fabrice se livre le plus à nous : dans ces dessins de Stéphane ou de Dominique, où l'amour est presque palpable. On pourrait penser qu'il suffirait à l'auteur, en plus de dissimuler les noms, de changer les visages et quelques détails anodins pour que son œuvre perde son côté 'autobiographique' que certains trouvent gênant pour ses protagonistes. En voyant ces portraits de Stéphane et Dominique on peut se rendre compte de la vanité de cette proposition : l'auteur place une charge émotionnelle dans la représentation des êtres aimés qui serait impossible pour des personnages à l'apparence fictive.

 

Possession et image de l'autre, vampirisation

Fabrice dit avoir le besoin de représenter les êtres qu'il aime. Ce désir, ce besoin, vont-ils jusqu'à l'excès ? On raconte que les membres de nombreuses sociétés primitives refusent de se laisser prendre en photo, par peur que l'appareil photo ne capture leur âme. N'est-ce pas ce qu'essaie de faire Fabrice Neaud avec les personnes qu'il aime ? Il semble en tout cas le suggérer dans le court récit publié dans l'album collectif « Vampires tome 2 ».
Fabrice Neaud semble osciller constamment entre deux pôles : la volonté de continuer son œuvre sans compromis (le récit 'Credo' dans Bananas n°3, la discussion avec son ancien professeur dans le volume III) et la culpabilité, le remords (dans Ego comme X n° 7, il a des propos très durs au moment de la sortie du volume III : « dégoût », « j'aurais voulu ne jamais avoir à faire ce livre » ; le récit de Vampires n° 2 dans lequel il se compare à un vampire ; cette image était d'ailleurs déjà annoncée dans Ego comme X n°7 : il s'y compare longuement au 'narcisse vide' évoqué par Hirigoyen). Cette culpabilité est illustrée par des images très fortes : dans Vampires n°2, celle du vampire ; dans Ego comme X n°7, celle du supervilain qui aspire le Phénix de Jean Grey... Comme s'il avait besoin de puiser les forces vitales des êtres qui l'entourent pour pouvoir vivre lui-même.

Le regard et l'amour

La problématique du regard est récurrente dans le Journal : Fabrice Neaud s'offre aux regards de ses lecteurs ; il offre au lecteur son regard sur les autres, le lecteur partage souvent le regard du narrateur (utilisation récurrente de la caméra subjective).

L'attitude de Stéphane et Dominique par rapport au regard est peut-être un des traits qui résument le mieux leur différence.
Narcisse aimant son image, Stéphane ne cesse d'appeler le regard de l'autre, l'œil de l'appareil photographique. Au contraire Dominique reproche à Fabrice l'utilisation que celui-ci a faite de son image (n'en est-il cependant pas flatté malgré tout, au moins au début ?).
Lors d'une des scènes finales d'explication entre Stéphane et Fabrice, celui-là ne soutient pas le regard (volume I, pages 7 à 79) : « Regarde-moi », l'implore Fabrice. Stéphane relève le regard et ne peut s'empêcher de rire. « Non, finalement ne me regarde pas... » conclut le narrateur. Stéphane fuit encore, refuse le contact visuel et se réfugie dans le rire. À l'opposé, dans la scène du rejet final, Dominique soutient le regard de Fabrice, avec force et intensité : « Oublie-moi... »

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Difficulté de la communication

Un autre des thèmes tenant particulièrement à cœur à Fabrice Neaud est celui de la difficulté des relations humaines, les problèmes de communication.

Difficiles relations humaines

Le thème de la difficulté des relations ouvre les deux premiers volumes du Journal : la première phrase du volume II évoque une « malédiction sur cette ville », à savoir « peu ou pas de rapports humains ». Dès le début du volume I, la communication avec Alain semble de plus en plus difficile.

Cette difficulté des relations humaines dans notre société est particulièrement illustrée par les rapports délicats qu'entretient Fabrice avec ses voisins. Dans le volume I (page 8), Fabrice déplore ne n'avoir pu établir de communication avec ceux-ci. Ce thème est développé dans le volume (4), dans lequel on voit Fabrice gêné par le bruit de ses voisins du dessus, dérangé par le sans-gêne de la famille d'à côté et agressé verbalement par un voisin acariâtre.

Incommunicabilité de la souffrance

Cette difficulté de la communication s'exacerbe lorsqu'il s'agit de partager une souffrance. Il est difficile de parler de soi, de ses angoisses (ce qui est superbement représenté dans les images du volume II, pages 60-61, où l'on voit Fabrice la bouche cadenassée face à ses amis), ou plutôt pas vraiment de parler de soi mais de se faire comprendre, de transmettre ses sentiments, sa souffrance.
Ainsi, dans le volume III, il n'y a personne pour s'inquiéter des soucis de Florence, personne pour l'interroger sur la perte de son sourire.
Là réside un des paradoxes de notre société : les logorrhées verbales de Love in Fun (volume II, pages 54 à 56), les épanchements multimédias d'Internet côtoient l'indicibilité de la souffrance de tous les exclus, au sens le plus large du terme. Trop de communication tue la communication.
De longs passages du volume III (notamment après les agressions dont est victime Fabrice) décrivent cette incommunicable de la souffrance : Comment distinguer la souffrance vécue, réelle, de la violence relatée quotidiennement par les médias ? Comme une brique qui ne s'adapte pas au mur, la plainte de Fabrice ne parvient pas à s'adapter à l'écoute de ses proches.

Isolement, atomisation de la société

Cela renvoie chacun de nous aux difficultés que nous avons à écouter la souffrance de l'autre. L'atomisation de la société, l'individualisme forcené, poussent au repli sur soi, à l'isolement dans des bulles séparées de personnes qui se croisent pourtant tous les jours, à la lâcheté des témoins des agressions de Fabrice qui passent sans le secourir (volume III).

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'Pédé' et 'chômeur', Fabrice se trouve doublement en marge de la société. Il vit ainsi pendant plusieurs années (à peu près jusqu'à la parution du Journal (I) et à sa remontée racontée dans le Journal (4)) une situation de misère affective et sociale.

On peut prendre le Journal comme une tentative d'exprimer l'inexprimable, de dire cette souffrance, celle du narrateur sans doute mais également celle de tous les exclus.
En en restant au cas du narrateur, quelle écoute pouvons-nous accorder à la lecture de la souffrance de l'autre ? D'un autre que nous ne connaissons pas en personne. Fabrice n'a pas réussi à se faire écouter par ses amis et il est écouté/lu par des milliers de personnes attentives qu'il ne connaît pas, des années après les faits...

 

Souffrance et forme

À la lecture du passage relatant la mort du père du narrateur dans le 'Journal d'un album' de Dupuy et Berbérian un membre de l'Association lâche : « ça manque de rythme ». « Moi, le journal d'Anne Franck, ça me fait chier, je trouve cela mal écrit », affirme Dominique... Faut-il travailler la forme pour rendre audible la souffrance ? Faut-il que la souffrance soit belle, bien écrite, correctement mise en scène, pour qu'elle nous touche ?

Paradoxe du Journal : Fabrice critique ce genre de remarques et en même temps il travaille extrêmement la forme de son Journal.

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Traumatisme

Le Journal s’ouvre sur deux pages racontant un traumatisme, sans rapport apparent avec la suite. L’œuvre est donc placée sous le signe de l’agression des autres, de la violence de la société, du traumatisme. (On peut noter que ce passage fut sans doute dessiné après les agressions relatées dans le volume III.) On peut relever la récurrence des images où Fabrice est en position fœtale. Dans Vampires II, Fabrice Neaud évoque même une ‘pathologie’ à son propos.
L'image de Freud revient plusieurs fois (« De petites choses » dans Bananas n°1, discussion sur l'Anti-Oedipe dans Ego comme X n°7, image de Freud lors de la discussion au café avec Dominique dans le volume III).

 

Toutes les images sont © Ego comme X

 


 
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