Entretien avec Denis
'Denis', ou au moins la personne qui a inspiré
ce personnage (dans Les Riches
Heures et Première tentative
de journal direct), a accepté de répondre à
mes questions. Je l'en remercie. Voici le texte de notre entretien
électronique.
« 1. Fabrice Neaud vous a-t-il demandé
la permission de vous faire figurer dans son Journal (que ce soit
dans le tome 4 ou dans son récit publié dans le numéro
5 d'Ego comme X) ?
Mauvaise question : cest « Denis » qui est dans
le journal, et pas moi. Qui vous a dit que cétait moi
?
Mauvaise question encore, si même ce Denis est bien moi.
J'ai envie de vous la retourner de plusieurs manières
:
Pour commencer, pensez-vous quil aurait dû,
ou pas, me demander ma permission pour me faire figurer dans son
journal ? Personnellement, je lui ai toujours dit quil était
fondamental qu'il fasse ce quil devait faire. Même si
ça devait être au prix de la tranquillité des
acteurs du Journal.
en commençant par la sienne propre,
car on n'implique pas son entourage innocemment.
Pour continuer, en tant que lecteur du Journal, pensez-vous quil
m'a demandé ma permission ? Pour ses premiers récits
autobiographiques dans Ego comme X, il ne la pas fait avec
les gens impliqués, par pure innocence. Il ignorait les problèmes
que ça allait lui causer avec certains
mais après
plusieurs polémiques, et 3 tomes, pensez-vous quil
lait fait avec moi ?
Il est le seul à avoir le droit de le dire : cela implique
son uvre.
2. Vous a-t-il fait lire les planches dans lesquelles vous apparaissez
avant la publication ou les avez-vous découvertes une fois
l'album terminé ?
J'aurais encore envie de vous retourner cette question. Mais
je vais plutôt la contourner :
En fait, Fabrice m'a très rarement montré son
travail en cours, et en cours signifie non publié. Je ne
sais pas si cest de la pudeur, ou sil trouve mon avis
sans intérêt, mais je pense surtout quil veut
me garder comme vrai lecteur, et non comme un éventuel complice
de travail. Comment pourrais-je lire le Journal pour ce quil
est si jen ai déjà entendu tous les thèmes
et les phrases musicales en vrac avant ? Il a une telle envie de
composition complexe et complète dans le Journal que je comprends
quil ne veuille pas quon assiste aux répétitions
pupitres par pupitres.
3. Vous êtes-vous parfaitement reconnu (physiquement et moralement)
dans le personnage de Denis dans les planches de Fabrice Neaud ?
Ou, au contraire, avez-vous été surpris de l'image
que Fabrice Neaud avait de vous ?
J'avoue, bas les masques, que je me suis parfaitement reconnu
physiquement ! Et ce, même dans les pages où il a omis
mes lunettes, alors que je les porte quand même 18 heures
sur 24 depuis que jai 5 ans (dans une scène dacrostiche
à la radio dans mon souvenir). Comme quoi, il ne se contente
pas de me représenter comme un chauve-barbe-lunettes : cest
bien un vrai dessinateur.
Moralement, pour reprendre votre mot, je nai
pas été surpris par le portrait qua fait de
moi Fabrice : nous avons suffisamment passé dheures
ensemble, notre amitié a été assez forte dans
ces années-là pour que jaie compris ce quil
pensait de moi. Cette vision quil a de moi est-elle la vérité
? Je vous répondrai comme Jésus face à Pilate
« Quest-ce que la vérité ? »
4. Le discours sur les comics que Fabrice Neaud vous prête
(pages 184 à 194 du tome 4 du Journal) reflète-t-il
bien votre pensée ? ou Fabrice Neaud y a-t-il intégré
(consciemment ou non) des idées à lui ?
J'ai encore envie de vous retourner votre question : si vous
la posez, c'est que vous savez bien qu'il a obligatoirement
intégré sa pensée de la BD dans cette scène.
Autrement, aurait-il écrit et dessiné ces pages ?
Nous avons passé de très longues
soirées à parler de Bande Dessinée avec Fabrice,
ne serait-ce quen tentant d'en faire une définition
complète et définitive. Un exercice incroyablement
complexe : alors quon sait de manière presque évidente
« ce qui en est », il est très délicat
den avoir une définition aussi courte que complète,
incluant tout ce qui doit lêtre, et excluant tout ce
qui ségarerait par erreur dans notre art. Nous avons
aussi discuté énormément de la forme de la
BD. Nous avons traqué la subtilité cachée dans
lévidence des Comics et des Mangas mainstream, et la
banalité formelle que narrivent pas à cacher
certaines avant-gardes. Nous avons pleuré sur les uvres
de Katsuhiro Otomo, dAlan Moore, de Jean-Christophe Menu,
de Jirô Taniguchi, dAristophane comme de Jim Starlin.
Alors est-ce que cette scène a eu lieu telle quelle
? Est-ce que je suis capable de prendre une heure pour faire un
cours magistral improvisé sur un aspect du Comics ? Est-ce
que je pense que le blanc nexiste pas à limprimerie
? Est-ce que je suis le fidèle dune religion comosgonique
inventée sans le savoir par 3 générations de
scénaristes américains ? Fabrice a répondu
pour Denis.
5. Quels échos avez-vous eu de personnes vous connaissant
à propos du Journal ? Vous y ont-elles nettement reconnu
ou, au contraire, ont-elles été surprises de la vision
de vous qui était présentée ?
Lécho le plus stupide mest venu, hélas,
dun ami, que jai croisé, et qui ma dit,
de but en blanc : « Tes chiant quand tu parles de Comics
». Il ma fallu quelques longues secondes pour comprendre
de quoi il parlait. Et, pour revenir aux questions précédentes,
il a fallu que jadmette que des gens pouvaient confondre ce
quécrivait Fabrice avec ce que je disais.
Lécho le moins déformé
mest venu de Valérie, ma femme, que jai connue
après les événements contés dans le
Journal, et qui a trouvé que cétait bien moi
et contrairement à Fabrice, elle me connaît même
dans le sens biblique du terme.
Et, à ce sujet, lécho le plus
méchant est venu après la publication d'un voyage
à Paris de Fabrice dans Ego comme X. On nous y voyait partager
une chambre dhôtel lors dun festival. Des gens
se sont plu à imaginer que nous partagions aussi notre couche,
et ont commencé à cancaner dans Paris à ce
sujet
ce qui ma fait rire jusquà ce quun
imbécile bien intentionné prévienne ma femme,
quelques jours avant notre mariage, quelle devait se méfier
de ma duplicité : elle allait épouser un sale pédé
damant de Fabrice Neaud. Comme quoi, dès quil
y a des gens un peu connus dans le Journal de Fabrice Neaud, certains
crétins le confondent avec le journal Voici.
6. Question subsidiaire : En tant qu'auteur de bande dessiné,
cela vous a-t-il fait un effet particulier de devenir également
'personnage' de bande dessinée ?
Je métais déjà représenté
moi-même à plusieurs occasions, me dépucelant
donc comme personnage moi-même. Onan soit qui mal y pense
!
Ceci dit, les pages de Fabrice au sujet de Denis
mont beaucoup fait rire, je ne me voyais pas aussi dansant,
et mont surtout profondément ému. Je navais
jamais reçu une aussi belle déclaration damitié.
Merci beaucoup pour votre collaboration.
Merci
à vous pour ce riche site ! On ne parlera jamais assez de
luvre extraordinaire quest en train de faire Fabrice.
»
Propos recueillis par Sébastien Soleille,
par e-mail, entre le 15/09/2004 et le 29/11/2004
Toutes les images sont © Ego comme
X et Fabrice Neaud
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