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Quelques photos ayant servi de sources à l'auteur. Entretien avec 'Denis' Risques et difficultés d'un journal Différence entre le narrateur et l'auteur Construction du récit / spontanéité du journal Spécificité d'un journal |
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« [Tenir un journal intime], c'est concevoir
sa vie comme une chose écrite. Ce qui est à la fois une
éthique, bien sûr, et un choix ontologique, pourrait-on presque
dire. C'est une conception absolument impérialiste, envahissante,
globalisante de la littérature. Il y a ce fantasme que l'écriture
est une façon totale d'habiter la terre. C'est aimer si fort la
phrase que tout devient une phrase. »
(Renaud Camus, dans un entretien donné au magazine Lire, en 1998). |
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Arrêtons-nous un instant sur le terme de Journal, sous lequel l'auteur place son uvre.. Prenons-le, au moins dans un premier temps, au sens de journal intime. Qu'est-ce qui fait la spécificité d'un journal ? Et en quoi ce terme peut-il s'appliquer à l'uvre de Fabrice Neaud ? Un journal n'est pas un récit ordinaire, et ce, à plusieurs titres :
En conséquence, on peut considérer que le Journal est issu d'un équilibre entre plusieurs éléments :
Parfois clairement distincts, ces éléments se mêlent souvent et les frontières entre eux s'estompent. Un journal n'est pas non plus une autobiographie ou des mémoires. L'auteur ne raconte pas sa vie parce qu'elle est particulièrement intéressante ou parce qu'il fut témoin d'événements historiques. Non, il relate des faits quotidiens, souvent d'apparence anodine, et intimes. L'auteur ne cherche pas du tout à avoir du recul, il raconte les événements comme s'il était en train de les vivre, comme s'il écrivait dans son journal ce qui lui est arrivé, ce à quoi il a réfléchi dans la journée. C'est particulièrement frappant dans le volume III (et c'est d'autant plus visible lorsque l'on compare cet album au récit publié dans Ego comme X n° 3 : dans ce dernier le narrateur prend du recul par rapport à ses mésaventures alors qu'il les relate du coeur de la tempête dans le volume III du Journal). La prise de tête, la dénonciation, les coups de gueule semblent jaillir spontanément des crises qui les ont précédés. Cela peut déstabiliser le lecteur, peu habitué à ce code de lecture. Ce journal intime-là sort cependant de la sphère de l'intime, il est d'emblée posé et affirmé comme uvre en tant que telle. Il ne s'agit pas du journal intime d'un écrivain qui s'est rendu par ailleurs célèbre en publiant d'autres ouvrages, moins personnels, et qui serait publié en un second temps, pour 'éclairer' l'uvre principale dudit auteur. Non, Fabrice Neaud n'a pour l'instant publié que cela et compte y consacrer encore au moins 20 ans de sa vie (Ego comme X n°4). Cependant, peut-on considérer véritablement le Journal comme un journal intime ? Cette forme ne suppose-t-elle pas une écriture au plus près de l'événement relaté, généralement le jour même ? La transposition en bande dessinée de l'expérience quotidienne de l'auteur prend place plusieurs années après. Certes le Journal tend à se rapprocher de la forme d'un véritable journal intime, malgré l'éloignement temporel, mais est-ce suffisant ? La formeLa spécificité du Journal transparaît
également dans la forme adoptée par l'auteur.
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Risques et difficultésAudace du projet de Fabrice NeaudLe projet de Fabrice Neaud va bien au-delà des précédentes tentatives d'autobiographie en bande dessinée, il est dune audace stupéfiante : transcrire en bande dessinée le plus fidèlement possible son journal. Un journal intime, celui dans lequel, tous les soirs, nous relatons ce qui nous a marqués dans la journée qui vient de sécouler : discussions avec des amis, mésaventures, coups de gueules, petites et grandes joies, déprimes... Il veut le transcrire de façon brute, en abandonnant certaines formes de romanisation encore à luvre chez Trondheim (dans 'Approximativement') ou Dupuy et Berberian (dans le 'Journal d'un album'). Il semble abandonner toute retenue. Il ne gomme pas les moments douloureux ou les reproches qu'il peut faire à ses proches (ainsi, le manque d'attention de Loïc pendant les mésaventures avec Dominique est plusieurs fois évoqué). Les personnages sont fidèlement portraiturés. Tout juste dans certains cas leur nom nest-il donné que par son initiale, voire carrément modifié. Risques et difficultés du JournalSe mettre ainsi en scène sous un jour pas toujours
favorable et surtout impliquer son entourage est une entreprise extrêmement
délicate. Certaines personnes peuvent très mal le prendre
(voir « Credo » dans
Bananas n° 3). Ces risques sont d'ailleurs un des sujets majeurs du
Journal, de par la récurrence des interrogations sur ce thème
mais également dans la mesure où il s'agit d'une problématique
neuve en bande dessinée. Objectifs du JournalPour conclure (provisoirement) sur ce thème, citons une phrase de « Credo » dans Bananas n°3 qui nous montre l'intransigeance et la grandeur du projet : « soit je sacrifie des relations qui, hostiles à mon travail, révèlent leur superficialité... Soit je sacrifie ma seule possibilité de comprendre qui je suis... J'ai choisi ». Mise en abymeDans la mesure où l'écriture du Journal devient l'activité principale (au moins au sens d'occupation professionnelle) de l'auteur/du narrateur, il semble normal que la réalisation du Journal, les problèmes qu'elle pose et les questions qu'elle suscite chez le narrateur/auteur deviennent eux-mêmes sujet du Journal. Ce sujet va en se précisant peu à peu. Dans le volume (I), nous assistons au début de la vocation du Journal. Dans le volume (III) le problème de la représentation de l'entourage prend une grande importance, devenant même moteur du 'récit'. Dans le volume (4), la situation évolue encore : le narrateur publie le volume (I), être auteur devient son 'statut social', on voit apparaître des lecteurs hors du cercle de ses connaissances, des lecteurs qui ne connaissent Fabrice Neaud qu'en tant qu'auteur du Journal. Apparaissent avec ces lecteurs des lectures, souvent partielles, voire erronées. Dit et non-ditLe narrateur a ainsi besoin de faire une mise au point sur ce qui est dit dans le Journal et ce qui ne l'est pas, de se défendre contre tous ces lecteurs qui se permettent de faire dire au Journal plus que ce que l'auteur n'y a mis. Réception du Journal - l'oeuvre et son publicLe Journal est une oeuvre novatrice, qui sort des sentiers battus. Le lecteur n'y est pas forcément habitué. La perplexité, voire l'incompréhension de certains lecteurs sont mises en scène dans le Journal (4), que ce soit lors de la séance de dédicace ou lors de l'entretien radiophonique dont est 'victime' le narrateur. Différence narrateur / auteurRéalité et fictionLa forme journal soulève de nombreuses questions
quant à la réalité effective, objective, des faits
relatés : Dans quelle mesure sont-ils vrais ? La question peut
être posée pour les faits, les lieux, les personnages mais
également pour les sentiments éprouvés par le narrateur.
Cependant, il est possible de vérifier certains éléments.
Certains protagonistes se reconnaîtront et reconnaîtront des
lieux et des faits. Plus largement, le lecteur moyen pourra facilement
repérer des concordances entre les faits du Journal et les faits
réels : un magazine de bande dessinée appelé Ego
comme X avec des récits d'auteurs prénommés Loïc,
Vincent ou Xavier
est réellement édité ; un certain Fabrice
Neaud a effectivement publié en 1996 un album de bande dessinée
appelé Journal (I) et a réellement
gagné l'Alph'Art Coup de cur en 1997. Là où
il est beaucoup plus difficile d'être affirmatif c'est en ce qui
concerne la réalité de ce qui constitue presque la majeure
partie du Journal : les états d'âme et la personnalité
du narrateur. Le Fabrice Neaud narrateur est-il le même que le Fabrice
Neaud réel ? Quelle distance existe-t-il ? Il en existe
forcément une dans la mesure où le Journal est dessiné
plusieurs années après les faits, Fabrice
Neaud a nécessairement évolué. Cette distance
peut être pleinement assumée, voire accentuée ou au
contraire lauteur peut chercher à la minimiser. (Dans « Credo », paru dans Bananas n° 3, on peut relever une remarque intéressante de Laure, à propos de son éventuelle apparition dans le Journal : « Tu peux faire ce que tu veux avec mon image, je sais que ce sera toujours de la fiction. ») Il est d'ailleurs difficile, voire impossible, de connaître la personnalité de Fabrice Neaud daprès ses bandes dessinées. En fait il s'y confie comme on ne le fait presque jamais, à presque personne. Mais comment est-il dans la vie de tous les jours, avec des gens quil connaît seulement relativement bien ? Construction du récit / spontanéité du journalSous une apparence de spontanéité (inclusion fréquente de confessions d'ordre intime, de 'coups de gueule', comme si le narrateur racontait sa vie au jour le jour), le Journal est en fait formidablement construit. Citons ici quelques exemples marquants qui révèlent ce souci de construction, cette attention constante prêtée à la forme :
Le narrateur l'avait annoncé dès les premières pages du volume I : le récit d'une expérience vécue ne dispense pas d'une réflexion sur la forme, bien au contraire (« Il me sembla pendant un temps que toucher à l'intime suffirait à écarter tout problème de forme, comme si authentifier un récit suffisait à émouvoir ! » volume I, page 12). On peut relever à ce sujet un paradoxe : Fabrice s'insurge qu'on puisse critiquer le style du Journal d'Anne Franck mais son style à lui est particulièrement travaillé. Nous pouvons d'ailleurs nous poser la question suivante : Pourquoi lisons-nous le Journal ? Pour son témoignage vécu, comme semble parfois nous demander le narrateur (mais alors pourquoi lisons-nous le Journal alors que certains de nos voisins souffrent sans doute tout autant sans que nous les écoutions) ? Ou pour sa forme superbe ? Certes les deux sont indissociables...
Lien vers la page montrant quelques photos ayant servi de sources à l'auteur
Toutes les images sont © Ego comme X
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