Entretien avec Fabrice Neaud - Réédition
de Journal aux éditions Delcourt
Sébastien Soleille : Les 4 volumes de votre
Journal ont initialement été publiés entre
1996 et 2002 chez Ego comme x. Ils viennent d'être réédités
(regroupés en 3 volumes) aux éditions Delcourt. Pourquoi
cette réédition ? et pourquoi maintenant ?
Fabrice Neaud : Les éditions Ego
comme X, dont je suis cofondateur mais qui furent dirigées
pendant plus de 20 ans par Loïc Néhou,
sont entrées en cessation d'activité vers 2017. Journal,
qui fut publié dans cette maison, devient dès lors
introuvable, prêt à disparaître dans les oubliettes
de l'édition et accessible seulement en solde chez quelques
libraires qui en auraient encore quelques exemplaires, destin tragique
mais (hélas) banal de tout travail dont l'éditeur
n'est plus en service. Voici déjà la réponse
concernant " maintenant " (2022).
À l'époque, je travaillais sur le
diptyque Labyrinthus
avec Christophe Bec (éditions
Glénat), commencé autour de 2015, et qui me prit près
de quatre ans à réaliser. Je n'avais guère
le temps de me questionner sur le devenir de ce travail autobiographique
et je ne préférais même pas trop y songer. Je
bénis d'ailleurs d'avoir travaillé à ce moment
sur Labyrinthus,
qui mobilisa tout mon temps et mon énergie, sinon je crains
que la triste nouvelle de la cessation d'activité d'Ego comme
X m'aurait déprimé définitivement. Et presque
davantage pour Loïc que pour moi-même,
vu que cette maison fut une part extrêmement importante de
sa vie. Mais c'est ainsi. Mettant de côté Journal,
tâchant de ne pas trop y penser, je ne m'en occupais guère.
Je me disais qu'il serait temps d'y revenir dans quelques années.
Mais je n'eus finalement pas tant à attendre. Je fus contacté
par plusieurs maisons d'éditions, à peine quelques
semaines ou mois après la cessation d'activité d'Ego
comme X. Et notamment par Casterman et Delcourt.
Chez Casterman, c'est Benoît
Mouchart qui me contacta et pour Delcourt, David
Chauvel.
À ces deux éditeurs (je dirai les plus importants
dans l'équation), je posais toutefois quelques conditions.
Mes conditions n'étaient pas des exigences capricieuses mais
des conditions minimum de " confort " de travail sur lesquelles
je ne souhaitais guère transiger. La situation économique
et pratique des auteurs étant d'une grande précarité,
et la mienne autant si ce n'est plus que d'autres collègues,
je posai comme conditions :
- la réédition de Journal
devait s'accompagner de la possibilité de poursuivre mon
travail autobiographique (il s'agissait donc de rééditer
Journal mais de garantir d'en publier la " suite "),
- le même confort de travail qu'avec Ego comme X, soit une
relative liberté de paginations et surtout de ton,
- la possibilité de vivre au moins de mes avances sur droit
durant la réalisation de mes pages, soit l'équivalent
d'un minimum proche du SMIC horaire (ce qui, à 53 ans et
pour n'importe quel autre travail, n'est pas une exigence irrationnelle),
- une mensualisation stricte de ces avances (en contrepartie, je
m'engageais pour un rendu fixe minimum de x pages par mois),
- une pérennisation de la publication de la " suite
" de Journal et ce indépendamment des chiffres de ventes
Ce dernier point peut paraître un peu fou mais je voyais assez
bien la récupération de Journal telle une sorte de
mausolée : la publication d'un tome supplémentaire,
des ventes plus que moyennes voire médiocres de l'ensemble
et donc un abandon rapide de la " franchise " (si j'ose
dire
) en à peine deux ou trois ans. Et donc une condamnation
de votre serviteur à ne plus jamais pouvoir republier quoi
que ce soit de l'équivalent de Journal chez aucun autre éditeur.
Bref, la mort éditoriale de ma pomme autour de mes 55 ou
57 ans. Et comme je suis quasiment incapable de faire autre chose
que ce travail, il était évident que mon futur et
ma survie risquaient d'être absolument dramatiques.
Delcourt accepta ces conditions et c'est ainsi
que Journal put être réédité.
Bien entendu, la conception globale de la réédition
des quatre tomes étant corrélée à la
réalisation et à la publication relativement rapprochée
d'un tome futur et de plusieurs suites, il fallait que j'achève
quasiment mes nouvelles pages avant de republier Journal. Ce afin
de bénéficier d'un effet d'entraînement et de
" locomotive " pour relancer une suite autobiographique
au moins aussi importante que Journal soi-même.
Après près de deux ans de négociations complexes
mais enthousiastes de part et d'autre (" complexes " techniquement
parlant, les " conditions " n'ayant pas soulevé
de réelles oppositions ou freins de la part de l'éditeur
- du moins si j'ai bien compris) nous arrivons à cette année
2022. Les trois premiers tomes de Journal ont donc été
réédités en avril et le tome 4 en septembre
dernier
en attente d'un prochain opus qui devait initialement
voir le jour en janvier 2023 mais sera repoussé probablement
à la rentrée de septembre 2023 [dont acte, a priori
au 23 septembre 2023 à confirmer].
Sébastien Soleille : Les
Riches Heures, le 4e volume du Journal, était
sorti en 2002, Ego comme x a cessé ses activités en
2017. On peut retrouver quelques pages autobiographiques entre ces
deux dates, notamment dans le livre célébrant les
10 ans d'Ego comme X en 2004, ou dans le collectif Japon
en 2005, mais ce devint de plus en plus rare. Avez-vous progressivement
arrêté l'autobiographie pendant cette quinzaine d'années
? Et si oui, pourquoi ?
Fabrice Neaud : Je n'ai jamais cessé
l'autobiographie.
J'ai toujours poursuivi, sans même réellement
baisser le rythme. En une dizaine d'années après la
parution du 4e tome de Journal (2002, donc vers
2012), j'avais quelques 700 ou 800 pages supplémentaires.
J'ai donc un rythme d'entre 60 à 90 pages (autobiographiques)
par an. Seulement ce sont des "scènes clefs" de
certains moments de ma vie, épars, et ne constituent donc
pas un tout homogène.
Bien entendu, dès la fin du 4e tome, j'avais entamé
le 5e, cette Arlésienne qui comprend actuellement une cent-vingtaine
de pages (et que je devrais très fortement corriger si jamais
ce livre voyait le jour, car certains dessins sont vraiment très
médiocres). Mais j'ai effectivement interrompu ce 5e tome
en cours, devenant de plus en plus relâché sur lui,
au profit, entre autres, d'autres pages, d'autres scènes,
d'autres livres, réels ou possibles.
Il y a plusieurs raisons à ça, notamment de 2002 à
2008, qui n'est pas une si longue période, au demeurant.
Tout d'abord, le 4e tome bénéficia
d'une redoutable communication, grâce à Sylvie Chabroux,
entre autres, qui fit un travail de véritable guerrière
à ce sujet. Le temps étant largement passé
depuis, je me rends compte que bien que j'avais fort apprécié
son travail, je n'avais pas mesuré son ampleur : je n'ai
jamais vu ni reçu un tel accueil, une telle communication,
une telle permanence, régularité et pugnacité
communicationnelle qu'autour de 2002-2004 grâce à elle
mais aussi au succès (toute proportion gardée avec
la BD maintsream, et encore, n'ayant pas senti le même intérêt
promotionnel pour mes livres de fictions) d'Ego comme X à
l'époque. La dite "BD indé" vivait aussi
à l'époque une sorte d'âge d'or.
Fort de ce travail, de cette aura et de cet âge
d'or, j'avoue que je me suis retrouvé très sollicité
: par des festivals, des libraires, des conférences, des
invitations diverses. Il y eut l'ambitieux projet, hélas
plus ou moins avorté depuis, de Frédéric
Boilet et de son concept de la Nouvelle Manga. Celui-ci
me permit deux invitations au Japon, en 2001 puis en 2005. Je n'ai
jamais autant voyagé qu'entre 1999 et 2005-2006, en France,
en Europe et même au-delà (Japon, Québec, Russie),
je n'ai jamais autant visité de régions, de pays et
de villes grâce à la bande dessinée qu'à
cette époque aujourd'hui totalement révolue. Je ne
peux avancer de manière affirmative ce qui se passa à
ce moment-là, mais probablement une conjonction, un alignement
de planètes. Ce fameux "âge d'or" permettant
de faire pleuvoir sur la bande dessinée indépendante
pas mal de fonds divers et de subventions, autorisant à de
nombreux festivals des invitations parfois presque luxueuses, donc
de dispenser hébergements et trajets sans trop compter. Ceci
dit, le relatif succès de Journal et le travail acharné
de communication de Sylvie Chabroux amenèrent cette conjonction
qui me permit à la fois de voyager, de me faire connaître,
de communiquer, de rencontrer des collègues et d'autres artistes
mais, paradoxalement, cela m'éloigna un peu du travail régulier.
En outre, il ne faut pas omettre une donnée importante :
de 1994 à 2002 j'étais graphiste salarié à
mi-temps dans une petite structure associative. J'avais donc, à
l'époque, un revenu régulier qui faisait que je n'avais
pas à compter sur mes seuls droits d'auteur ou avances sur
droit, et leur précarité, pour vivre. Ceci n'est pas
anodin pour la suite.
En réalité, la totalité du
journal publié chevauche plus ou moins mes années
de salariat ; je n'avais donc aucune pression sur mes pages à
produire, Ego comme X à travers Loïc
ne m'ayant jamais pressé à produire non plus. Mais
à partir de 2002, le directeur de la structure associative
dans laquelle je travaillais (un type assez psychorigide, assez
toxique, comme très souvent dans la gauche associative, qui
pallie le virilisme alpha des chefs d'entreprise par de la passivité-agressive)
exigea que je choisisse entre mon travail de graphiste et la bande
dessinée. En gros, je devais passer à plein-temps
chez lui. Vu le relatif "succès" que connaissait
Journal à l'époque et l'ennui profond que produisait
sur moi ce travail salarié, j'ai choisi la bande dessinée.
Si je ne regrette pas un instant ce choix, il est
évident que je ne pouvais plus compter que sur mes droits
et avances sur droits. Ce nerf de la guerre bien connu de tous les
collègues devint vite le point noir de cette vie "d'artiste".
Je me réinscrivis au chômage pour bénéficier
du RSA qui, adjoint aux quelques émoluments de la bande dessinée,
permettait encore à l'époque de (sur)vivre.
N'ayant jamais eu de gros besoins, je pensais que
c'était jouable. Comme 2002 fut un peu le "sommet"
(disons) "médiatique" de Journal, j'espérais
poursuivre ainsi. Et il faut dire que l'inertie de ce "succès"
(je poursuis les guillemets car ces termes restent relatifs) me
permit effectivement de continuer ainsi encore quelques années.
C'est la période où mes " petits
récits " virent le jour et furent publiés, çà
et là, dans la presse (un peu de Libération,
Technikart, Beaux-Arts magazine vers 2006
mon
travail au Centre dramatique
national d'Orléans, les pages de Japon,
etc.) et ailleurs, notamment le récit Alex
et la vie d'après avec Thierry
Robberecht, publié par l'association bruxelloise de
prévention contre le VIH Ex Æquo (une superbe expérience,
professionnelle et humaine !). Des interventions ici ou là,
des pages dans telle revue ou tel magazine, deux bourses du CnL
(dont la sabbatique en 2006 qui me permit de vivre aisément
jusqu'en 2008).
Ce fut à la fois une période bénie et un piège.
Bénie car ce furent quelques années sans trop me poser
de questions de " survie " et piège car, sollicité
ici et là, je laissais de côté les pages plus
" continues ", linéaires de Journal et la nécessité
de me poser sur un livre précis à paraître (que
ce fût le tome 5 ou un autre, d'ailleurs). Si jamais Loïc
ne me pressa jamais pour me recentrer sur ces fondamentaux, je pense
qu'au fond de lui il voyait le piège et j'avoue humblement
regretter, au vu du destin d'Ego comme X, ne pas avoir su lire les
signes.
Bref, voilà l'explication dans le détail
du progressif et lent abandon des tomes de Journal. Je ne dirai
pas que ce furent " succès, alcool, drogue, femmes (femmes
? Qu'est-ce que je raconte ?) et rock n'roll " non plus, mais
voilà. L'ensemble des diverses " dispersions "
qui m'amenèrent à toujours remettre au lendemain des
pages plus régulières produisirent leur relâchement
et leur apparent abandon.
Je dois cependant aussi ajouter que n'ayant plus de revenus fixes
et les avances sur droit d'Ego comme X ne pouvant à elles
seules subvenir à mes besoins (et je n'ai rien à dire
contre elles : Ego comme X fut sans doute l'éditeur indépendant
de l'époque qui rémunéra le plus honnêtement
ses auteurs), je me précipitais en priorité vers des
revenus plus immédiats : d'où tous mes petits travaux
d'illustrations et pages dans la presse ou ailleurs. Le piège
fut aussi là : la nécessité de revenus immédiats
empêchant de plus en plus de me poser sur le long cours d'un
livre à venir. Et comme, de surcroît, je me contente
assez rarement d'ouvrages de 40 pages, ou même de 100, Journal
en tant que tel fut mis de côté.
Ceci vaut pour les années 2002 à 2008.
Mais les années suivantes furent une autre histoire.
C'est dans la postface publiée à
la fin des tomes 1&2 de Journal que je la relate : une
dépression, conséquence à la fois de ce "piège"
mais aussi de la lente dégradation des conditions de la bande
dessinée. Je pense que si les conditions économiques
globales de l'époque avaient permis ce petit " âge
d'or " pour des gens comme moi, ou comme nous (les auteurs
de l'époque et de la subculture plus underground/indé
de la BD), elles se dégradèrent aussi progressivement.
En outre la "BD indé" commença
à se diluer dans ses propres récupérations,
notamment par les grands groupes éditoriaux, de petits labels
connexes aux gros éditeurs, des collections, voyant de plus
en plus le jour et participant à cette dilution. N'ayant
plus rien publié de "conséquent" depuis
des années, il est évident (et je dirais presque normal)
que je fus progressivement relégué à l'arrière-plan.
Bref, 2008 à 2015 furent les années
noires. Une relation toxique s'installa avec un individu manipulateur
qui s'acheva dans la violence et des plaintes contre lui où
il fut reconnu coupable du bout des lèvres de la Justice.
Nous aurons peut-être l'occasion de développer un peu
cette affaire, si l'espace et le temps vous dit
cette affaire
ayant connu récemment une sorte de "dénouement"
assez surprenant.
La dépression dura sept ans.
Je restai aux minimas sociaux tout ce temps, sans plus rien produire
du tout (ou presque), passant régulièrement d'assistants
sociaux en conseillers juridiques gratuits, de dépôts
de plaintes, en suivis psychanalytiques et sous médications
diverses. Je perdis à peu près tous mes amis, dont
la quasi-totalité de mes amis gays (il y aurait long à
dire sur l'hypocrisie intrinsèque des gays entre eux, au-delà
de l'aspect arc-en-ciel-rose bonbon du LGBTisme lisse que seul les
médias veulent reconnaître).
Fin 2014, après une énième
violence pour laquelle la Police resta muette, des amis (Denis
Bajram et Valérie Magin,
pour ne pas les nommer, vivant en Normandie) décidèrent
de me sauver littéralement la vie en m'extrayant physiquement
de mon biotope toxique pour me trouver un logement proche de chez
eux.
J'avais déjà tenté de me sortir
"par le travail" de ma situation, d'où l'entame
du récit Nu-Men à
partir de 2012 (Soleil puis Delcourt) qui eut le succès qu'on
lui connaît (c'est-à-dire un flop éditorial
stratosphérique). J'avais même envisagé (2013,
je crois) de déménager à Bruxelles, où
je découvris que les prix des loyers n'étaient plus
du tout les mêmes que dix ans auparavant, et découragé
par Denis et Valérie
qui me dissuadèrent de faire ce qu'ils jugèrent être
une colossale erreur (déménager en Belgique : ils
avaient raison).
Je découvris que les logements proposés par les Bruxellois
devenaient de plus en plus sordides, pour les mêmes prix que
je connaissais par chez moi. Sans compter sur le libéralisme,
la droitisation mentale et son darwinisme social qui a pas mal infecté
nos amis belges, sans même qu'ils s'en aperçoivent.
Bref, fin 2014, je visitai une trentaine d'appartements normands
et nous en choisîmes un qui me convenait tout à fait
et où j'emménageai en avril 2015.
À ce moment-là, également
pour accélérer ma sortie de situation, je commençai
Labyrinthus avec
Christophe Bec et la roue du karma se
remit à tourner favorablement : adaptation de Journal
par Stefan Hort, jeune metteur en scène
valaisan, qui me valut une belle résidence de trois mois
dans les montagnes suisses (l'une des plus belles périodes
de ma vie) mais aussi une belle manne financière (une donation
maternelle suite au décès de mon beau-père)
qui me permit de vivre confortablement, comme je n'avais jamais
connu ce confort, durant trois ou quatre ans.
Si Ego comme X disparut à peu près
à la même période (et je le regrette amèrement,
surtout pour Loïc, car je suis
convaincu que si j'avais continué plus assidûment Journal
toute la période intermédiaire, j'aurais probablement
contribué à maintenir cette maison à flot),
cela débloqua aussi les volontés d'autres éditeurs.
Et nous voilà revenus à ma première réponse,
et à la réédition de Journal par Delcourt
et la relance de ma production autobiographique via David
Chauvel. Que je remercie infiniment.
Voilà, j'ai été fort long. Mais je tenais à
donner le déroulé précis de ma situation qui
explique ces quinze, même vingt années de silence autobiographique.
Et il y a suffisamment matière dans mes dernières
lignes pour relancer votre questionnement.
Sébastien Soleille : Plus de 20 ans nous
séparent donc des 4 volumes du Journal aujourd'hui
réédités. Comme vous venez de l'expliquer,
beaucoup de choses ont changé : vous étiez un jeune
auteur débutant, c'était à l'orée d'un
"âge d'or" pour la "BD indé" ;
depuis, vous avez bénéficié d'un succès
d'estime certain pour ces livres, vous avez vu retomber la vague
du succès de la "BD indé", etc. Quel regard
rétrospectif portez-vous sur vos premiers livres ? En êtes-vous
fiers ? Rêveriez-vous de les modifier ?
Fabrice Neaud : Mon regard sur mes premiers livres est ambivalent.
J'en suis à la fois très fier et je ne peux évidemment
plus les voir en peinture
Surtout les tomes 1 et 2. Curieusement,
je suis bien plus indulgent concernant les 3 et 4. Comme s'il y
avait déjà une première grande rupture stylistique
entre le 2 et le 3 (alors que le tome 2, comme je crois l'avoir
déjà dit, était initialement le début
du tome 3)
C'est surtout une question de dessin, pas vraiment de mise en scène/narration/écriture
; sur lesquelles j'estime ne pas avoir grand' chose à dire,
finalement. En gros, je ne changerais pas mes découpages/narration
mais je changerais/referais beaucoup de dessins/cases si je le pouvais.
De fait, c'est ce que j'ai fait, dans la mesure du possible sur
les quatre tomes. Et, de fait, j'ai fait pas mal de corrections
sur les tomes 1 et 2. Ces corrections ont été apportées
sur les fichiers numériques, donc sur palettes, et non sur
les originaux ; ce qui posera problème dans l'avenir,
je suppose, avec le temps, puisque si les originaux avaient la chance
de perdurer et les fichiers se perdre, on republierait des erreurs
de dessins corrigées depuis.
Évidemment, je n'ai eu ni le temps ni n'ai
eu l'opportunité "pertinente" de corriger tout
ce que j'aurais aimé pouvoir corriger sans dénaturer
les livres. Mais je ne me suis pas privé cependant.
L'essentiel des corrections seront d'ailleurs probablement
invisibles aux lecteurs. Ne serait-ce parce qu'elles touchent des
dessins je dirais "non-essentiels" : Je n'ai pas retouché
les "grandes cases" ou les "grands portraits"
(de Stéphane, par exemple, ou de Dominique). J'ai surtout
retouché les "petites cases" et surtout quand il
y avait de "petites figures".
Sébastien Soleille : Pourquoi ces corrections ? Que reprochez-vous
particulièrement à votre dessin de l'époque
? En quoi a-t-il évolué principalement ?
Fabrice Neaud : Si mon dessin a évolué,
c'est surtout vers une meilleure maîtrise (du moins le crois-je)
des "petites figures".
Qu'est-ce que j'appelle les "petites figures"
?
Hé bien, simplement quand des "personnages"
sont loin dans la case mais importants, en pieds, bref, "petits"
dans la case. Mon gros défaut de l'époque (donc autour
des années 92/98) était là, je pense : les
"petits personnages en pieds dans les petites cases".
Ce que mon ami Denis Bajram appellerait
le "silhouettage". Cela est d'ailleurs l'un des propres
de l'écriture de la bande dessinée. D'autant plus
quand on a un dessin qui procède, comme le mien, de l'observation
et de ce qu'on appelle (improprement) le "réalisme"
: la "réduction", la "synthèse"
du dessin sur les "petites silhouettes", est un véritable
casse-gueule, voire une purge. Car il est alors très difficile,
tout en restant relativement "réaliste", de "synthétiser"
les figures sur de petites surfaces. Gros mien défaut.
Il me semble l'avoir partiellement résolu depuis.
De fait, il existe des cases qui me sortent par
les yeux aujourd'hui, avec des "silhouettes" de figures
("personnages" - mais je refuse le terme de "personnage"
dans mes récits, puisqu'il y a toujours potentiellement une
"personne" existante derrière, d'où le substitut
plus juste de "figure") à la limite de la caricature
donc du grotesque. Dès que j'ai pu les corriger sans dénaturer
le récit, je l'ai fait.
Je peux citer des exemples afin que le lecteur intéressé
joue au jeu des sept erreurs ; je reprends évidemment l'actuelle
pagination des éditions Delcourt :
- Page 13, cases 5 et 6, retouches sur la figure
du narrateur,
- Page 22, cases 6 et 7, les " personnages ",
- Page 25, cases 2 et 5, la figure du narrateur. Et sur la case
5, une retouche quasi complète de la case [voir la comparaison
des deux versions en cliquant sur l'image à gauche],
- Page 26, retouche des lumières sur le visage du gars
de la case 2 et des lumières case 1 [voir la comparaison
des deux versions en cliquant sur l'image à droite]. Voilà
quelques exemples pour donner une idée
Etc.
Mais il y a d'autres types de retouches, également, surtout
des éclaircissements/débouchages de mes trames de
gris (mes hachures de plumes).
Par exemple, page 110, cases 1 et 2
sans ces retouches, la
trame de gris foncé de l'ombre sous la table serait quasiment
bouchée à l'impression, donc presque noire. Ceci est
un problème systémique que nous avons rencontré
souvent à Ego comme X, et suivant une édition à
l'autre, une imprimerie à l'autre, nous pouvions avoir de
véritables catastrophes.
Les dernières retouches paraîtront
drôles mais j'ai pas mal retouché de
cheveux
ou de coiffures ! En sus de mon problème de "silhouettage",
j'ai souvent eu des difficultés à dessiner les chevelures.
Ayant une passion pour le cheveu ras, je pense avoir développé
une assez bonne représentation de celui-ci, mais dès
qu'il faut dessiner de l'ondulé ou même des cheveux
mi-longs, c'est l'horreur.
Ainsi, tome 2, toute la scène avec l'entreprise
qui veut faire sa plaquette publicitaire (de 124 à 128),
j'ai refait toutes les coiffures des dames [voir la comparaison
des deux versions en cliquant sur l'image à gauche]
Idem tome 3, toutes les scènes avec le "prof "
(soit la page 7 et toute la scène des pages 283 à
297), j'ai dû refaire le brushing de la figure du " prof
"
Je pourrais indiquer là aussi toutes les cases
une à une mais ce serait fastidieux et ennuyeux. Disons qu'à
partir du tome 3, ce sont essentiellement des "débouchages
de trame" qui furent opérés. Mais tout ceci prit
tout de même d'une semaine à quinze jours de travail
à plein temps.
Sébastien Soleille : Et au-delà de ces modifications
ponctuelles, avez-vous eu envie d'effectuer des changements plus
structurels ?
Fabrice Neaud : Bien entendu, si j'avais encore du temps (ce que
je n'ai pas), je retoucherais encore certaines choses, et, cette
fois, concernant les récits eux-mêmes. Alors il ne
s'agirait pas de modifier le déjà fait mais de faire
dans l'augmentation
comme cela se passa pour le tome 3 qui,
en 2010, s'est vu adjoindre une cinquantaine de pages supplémentaires,
disséminées en quatre ou cinq ajouts inégaux,
le plus gros étant la suite de la scène avec le sergent
(pages 32 à 45) qui me paraissait indispensable.
Dans le récit initial, j'arrêtai pudiquement la scène
avant l'acte sexuel. Mais j'avais choisi de le représenter.
Sauf qu'en 1998 (moments de réalisation de ladite scène)
je ne me sentais pas capable de faire une telle représentation
(la représentation de l'acte sexuel est toujours un casse-gueule
en bande dessinée, comme ailleurs). À partir de 2010,
il m'a paru à la fois indispensable et plus aisé de
la dessiner. Depuis, d'ailleurs, je pense ne plus avoir de problème
avec la représentation frontale de l'acte sexuel.
Le deuxième "gros morceau" est
ce que j'appelle la "scène de la caméra"
pages 230 à 237. Cette scène était indispensable
au récit original également mais je n'avais pas réussi
à la raconter correctement. Je l'avais donc "résumée"
en un texte (que je trouvais alors laborieux et peu clair, que peu
de lecteurs ont repéré à l'époque et
dont l'enjeu manquait au récit) que j'avais collé
de manière un peu brutale sur l'actuelle grande case de la
page 237.
Le troisième ajout est une augmentation
de la scène avec le "prof", justement, ici des
pages 289 à 296. Mais tout ceci est ancien.
Cependant, cela correspond aussi à la rupture d'un tabou
en bande dessinée : la retouche. Très peu d'auteurs
(et d'éditeurs) s'autorisent (et autorisent) qu'on retouche
nos pages pour une édition ultérieure.
Je me pose d'ailleurs la question pour mon actuel
tome en cours
il augmente, augmente, augmente
Initialement
prévu autour de 250 pages (comme le tome
3 de Journal), il en fera finalement autour de 400 (comme
le tome 3 de Journal !)
et si je disposais de plus de temps encore, en ferait probablement
500 ou 550
Pris par les délais de parution, j'ai déjà
dû renoncer et sacrifier une scène déjà
dessinée de 72 pages
et certaines scènes que
je prévoyais initialement, je n'ai guère eu le temps
de les réaliser avant avril 2023 (deadline repoussé
encore et encore du rendu de mes pages).
Voilà, je m'aperçois que j'ai encore été
fort long pour parler surtout de cuisine interne. Mais j'aime donner
toutes les clefs au lecteur aussi bien de la fabrication des livres
que de ce qu'ils disent, parfois, quand ce n'est pas clair, imprécis,
ou qu'il me semble manquer des éléments de lecture.
Sébastien Soleille : Et comment analysez-vous l'accueil
favorable qu'ils ont reçu à l'époque ?
Fabrice Neaud : Ceci m'a fait omettre votre question sur la réception
de mes livres à l'époque
Je vais tâcher
d'être bref.
Disons que
là aussi, je pense que
c'est à partir du tome 3, bien que celui-ci ait été
le tome "oublié" de toute la saga, que la lecture,
l'accueil et la critique ont commencé à être
un peu plus "larges" (si j'ose dire) qu'avec l'initial
accueil des tomes 1 et 2.
Je sais qu'il n'est pas bien vu de critiquer la
critique, qu'il est perçu comme prétentieux, snob
ou stratosphériquement melonesque d'oser dire soi-même
"ce qu'on doit penser" de nos propres livres mais j'ai
toujours eu le sentiment que presse et majeure critique de mes livres
étaient restées comme "en surface" et quelque
peu à côté de la plaque.
En gros (et même ma fiche Wikipédia
retranscrit ces poncifs), il semblerait que le portrait global de
ce travail se résume à peu près, et dans le
meilleur des cas, ainsi : "journal intime d'un jeune homosexuel
de province, les difficultés professionnelles, la vie, les
amours déçues, le tout avec un trait sensible
et sans fausse pudeur en noir et blanc".
Bon
Faites avec ça, les gens.
Quid des questions de représentations du
réel ? Quid du portrait ? Quid des multiples références
internes au récit (la musique, la peinture, la littérature,
même la science et, souvent, les sciences humaines) ? Et,
surtout, quid de la dimension sociale et politique des livres ?
Peanuts. Autant dire qu'il y a quand même de quoi être
un peu déçu
Je mets cela (mais c'est tout personnel)
sur le compte du fait que je tente de dresser un portrait somme
toute un poil décliniste de notre société mais,
surtout, un portrait peu flatteur de mon milieu socio-culturel et
du milieu culturel plus général, de sa "gauche"
soi-disant inclusive alors qu'elle ne l'est pas et surtout de l'homophobie
systémique, chevillée au corps social et dont le milieu
culturel est loin d'être exempt, voire qu'il produit
une forme de discrimination sexiste et homophobe toute singulière
et qui nourrit l'acception des violences sociales globales.
Mais quel journaliste, quel critique saurait pointer ça dans
ce travail sans se remettre lui ou elle-même en question ?
Pourtant, je ne me sens pas très loin ni
très différent de ce que raconte Annie
Ernaux dans ses romans. Mais il est plus loisible de croire
pointer les défauts du narrateur lui-même et de réduire
ses analyses à la supposée subjectivité de
ses opinions. En cela, il est étonnant de voir combien la
postface "méta" que j'ai adjointe à l'édition
Delcourt des tomes 1 & 2 a été totalement ignorée
par tous les articles que j'ai lus depuis sur la reparution de Journal.
Il y a ici un mode hystérique de l'absence chez nos
amis journalistes
Il n'est pas exclu non plus que je me plante totalement dans mon
projet
Sébastien Soleille : Vous dites que le
tome 3 a été
le tome "oublié" de la saga, je dois avouer que
je ne comprends pas bien pourquoi : parlez-vous des retombées
presse ? Parce que j'avais l'impression que c'est celui qui a marqué
le plus les lecteurs...
Fabrice Neaud : Je ne sais pas quel tome a le plus touché
les lecteurs, mais j'ai, là aussi, ma petite idée : le premier.
Il n'y a rien à faire, quand on débute
un travail qui "marque" un minimum un certain public,
sa suite est toujours éclipsée par ce démarrage
"marquant".
Concernant le
tome 2, comme décrit plus tôt, il reste un tome
un peu "artificiel" qui sert d'introduction au tome
3. Il était d'ailleurs conçu comme devant faire
partie du tome 3.
En fait, le tome 3 aurait dû être un
colossal tome 2 avec l'actuel 2
mais ce tome grandissant sans
cesse et comme j'étais assez " attendu", il devint
entendu avec Loïc (Néhou)
qu'il fallait faire paraître quelque chose deux ans après
la parution du tome 1. Nous
avons donc décidé de cette scansion et de cette découpe.
Il eut été absurde de couper bêtement le tome
3 en deux parties égales (et je déteste les livres
de même taille/pagination), nous avons alors choisi de faire
paraître ce court opus, une cinquantaine de pages, auxquelles
j'ai adjoint une vingtaine de pages qui pouvaient ainsi constituer
une sorte de final cohérent, et lancer un quasi cliffhanger
(l'arrivé de la figure de Dominique). Cette séparation
permet ainsi de faire un tome intermédiaire un peu "sas"
entre deux histoires qui, sinon, auraient pu paraître similaires
dans leur fil rouge : un nouvel amant qui déçoit et
rejette le narrateur. Même si j'ai eu tendance à tomber
amoureux de manière maladive et assez régulièrement,
j'étais contre l'idée de faire "un livre / un
mec". Ç'eut été ridicule et aurait eu
tendance à souligner trop visiblement un supposé "tic"
comportemental qui n'avait pas besoin de devenir un tic narratif.
Le tome 2
est très court, le plus court (72 pages) et il est un peu
normal qu'il ait été lui-même vaguement éclipsé
par le premier (la presse s'est contentée de dire, assez
légitimement "Neaud poursuit
son journal").
C'est le 4e qui a bénéficié
d'une couverture médiatique presque indécente, comme
je l'ai dit plus haut également. La communication assurée
par Sylvie Chabroux, quand j'y pense avec du recul, a été
hallucinante. Déjà, à l'époque, je m'apercevais
de la chance que j'avais d'une telle couverture médiatique,
mais aujourd'hui, 20 ans plus tard, je pense qu'il serait impossible
d'avoir une telle couverture pour un tel livre
à moins
de s'appeler Sattouf, Bagieu
ou qui sais-je.
De fait et par défaut, c'est bien le tome 3 qui est passé
un peu sous silence.
Bien sûr, il y a eu un changement de paradigme à ce
moment-là. La nature du récit, son épaisseur,
faisait passer le projet autobiographique à un tout autre
niveau. Mais hormis l'édito de Beaux-Arts magazine de janvier
2000, je n'ai pas le souvenir d'avoir lu un article comprenant qu'il
se passait là quelque chose d'autre et de nouveau.
Bref, je crois, bien au contraire, que le tome 3 a été
LE tome le plus sous-estimé. Alors qu'il est sans doute le
meilleur.
Sébastien Soleille : Revenons plus largement à l'accueil
de l'ensemble de vos livres par la critique. Il y aurait beaucoup
à dire sur la capacité d'analyse de la critique dédiée
à la bande dessinée. J'ai tendance à penser
que les manques que vous mettez en avant sont assez généraux
; il est très difficile, encore maintenant, de trouver des
analyses un peu poussées des ouvrages de bande dessinée,
même les plus riches.
En outre, il y a eu l'accueil par la presse, certes,
mais il y a également eu celui par vos pairs. Je suis frappé
par les retours très positifs que vous font des auteurs de
bande dessinée reconnus, très variés et dont
les uvres semblent pourtant éloignées des vôtres.
On peut citer Benoît Peeters, qui signe la préface
de la réédition des tomes 1 et 2, Denis Bajram, David
Chauvel, qui est devenu depuis votre éditeur chez Delcourt,
Maester, Jean-Christophe Menu, etc. Seriez-vous un "dessinateur
pour dessinateurs", reconnu d'abord par vos pairs, mais dont
les uvres témoignent d'une richesse thématique
et formelle qui serait davantage attendue dans une uvre littéraire
traditionnelle (Annie Ernaux, Michel
Houellebecq...) que dans une bande dessinée ?
Fabrice Neaud : Si la comparaison avec les écrivain·e·s
que vous citez me flatte, je ne sais pas si public, lecteurs et
presse ont vu mon travail ainsi.
Après, il est évident que les noms
que vous citez parmi mes pairs sont ceux dont j'ai eu des retours
personnels. Dans le cas de Jean-Christophe
Menu, il semble évident que, lui, a bien vu le tome
3 comme "mon" livre et que l'ensemble de Journal
a été salué par quelques auteurs et personnalités
que je respecte moi-même beaucoup (voire même par la
principale figure concernée du livre, même s'il ne
l'a pas forcément crié sur tous les toits, ce qui
est un brin ironique quand on sait combien ses camarades jouèrent
ses chiens de garde pour m'étriller à sa parution),
ce qui est une reconnaissance non négligeable et flatteuse,
là aussi.
Mais un auteur est le plus mal placé pour savoir comment
son travail est réellement apprécié de manière
plus générale.
Certes, j'ai vu fleurir (et à partir du
tome 3) un certain nombre d'articles et surtout de travaux universitaires.
J'ai fait l'objet d'un séminaire d'une semaine à Lyon
III vers 2002 (si je me souviens bien), ai été invité
à l'University of Modern Language de Leicester (avec JC
Menu) en 2005 (je crois) où j'ai appris avoir été
en lice pour l'honoris causa (je l'ai appris surtout parce
que je ne l'ai pas eue, ce qui m'a beaucoup vexé dans la
foulée et aurais préféré n'être
au courant de rien, ce paradoxe - il semblerait que des luttes politiques
internes à l'université et mettant davantage en cause
la légitimité du département, ont fait que
ce titre ne m'a pas été attribué, mais baste).
Il y eut bien sûr la Manifestation de la Nouvelle Manga,
organisée par Frédéric
Boilet en 2001, qui déboucha sur le projet Japon
chez Casterman et un nouveau séjour nippon, à Sendai,
pour ma part (avant la catastrophe) là aussi en 2005.
Comme je l'ai décrit plus haut, en réalité,
ma petite carrière a connu un faîte entre 2000 et 2006,
environ. Avec de nombreuses invitations en festivals, dans des universités,
des rencontres avec d'autres confrères et collègues
de l'époque, un petit âge d'or
Je n'arrive pas
à savoir si ma progressive disparition n'est due qu'à
l'absence de nouvelle publication autobiographique de ma part ou
à un nouveau changement de paradigmes dans la bande dessinée
sans doute un peu des deux.
Mais pour répondre mieux à votre
question de départ, oui, je crois qu'on peut dire que je
suis sans doute plus un auteur pour "spécialistes"
et que je n'ai jamais passé le seuil public de la reconnaissance,
comme un Sattouf, par exemple (déjà
cité et mérité), une Bagieu,
un Blutch, un Sfar.
Cela ne me manque pas véritablement. C'est surtout gênant
économiquement car je suis toujours et sans doute resterai
toute ma vue entre le seuil de précarité et celui
de pauvreté (comme nombre de mes collègues).
J'estime, encore une fois, vue la nature de mon
travail, avoir bénéficié déjà
d'une forme de "miracle" éditorial et médiatique.
Nous verrons, à la publication de mes nouveaux opus, si le
petit public que j'avais réussi à capter à
l'époque aura suivi. Je ne sais pas mais vu le changement
d'époque, je ne serais pas surpris que non. Je ne serais
d'ailleurs pas trop surpris que d'auteur un peu "novateur"
je passe pour un simple vieux schnock, voire un vieux réac.
Je m'attends même à quelques critiques pour certaines
positions qui seront probablement jugées comme "dépassées"
Mes prochains récits se situent entre 98 et 2002, cependant.
Mais je ne suis pas certain qu'un lecteur d'aujourd'hui comprenne
bien de quelle époque on parle et n'attende pas, malgré
tout, qu'on aborde des thématiques qui l'intéressent,
lui, avant de comprendre que le boulot d'un auteur est que ça
intéresse et motive ce dernier.
Mais n'anticipons pas trop. Je suis juste un peu
prudent, contrairement à pas mal de proches qui sont convaincus
un peu exagérément que le monde de la bande dessinée
n'attendrait quasiment que moi. Je n'y crois pas trop. Je n'y crois
même pas du tout. Je trouve même un peu oppressif l'espèce
de complaisance et de boursoufflure à mon égard dont
certains proches font preuve en me léchant les bottes. Mais
ni l'horloge interne de mes priorités ni mes nécessités
ne s'occupent de ça.
J'ai surtout fait la rencontre, virtuelle ou réelle,
de plusieurs artistes autour des années 2000. La plus marquante
fut sans aucun doute celle de l'écrivain Guillaume
Dustan, décédé malheureusement depuis.
Dans une moindre mesure, j'ai rencontré l'écrivain
Laurent De Graeve lors d'un festival
LGBT à Bruxelles fin 1999. Je dis " dans une moindre
mesure " car ledit écrivain est décédé
en 2001, des suites du VIH, comme Dustan
plus tard, d'ailleurs. C'était encore les années de
l'hécatombe, à travers laquelle je suis miraculeusement
passé.
Ces rencontres ont participé à ma
propre émancipation (gay) de l'époque. Et je dois
à Dustan le passage sur la "tolérance"
dans le tome 3 de Journal,
passage toujours totalement occulté comme prise de parole
politique par la presse et les analyses diverses (ou alors cosmétiquement
réduite à une vague militance, sans tenir compte de
l'argumentation, qui était pourtant très forte, me
semblait-il, pour l'époque), ainsi qu'à De
Graeve. J'évoquerai d'ailleurs ces deux figures dans
mon prochain opus
dans la mesure où avant de devenir
ce livre que je termine en ce moment même, 20 ans après
la parution du tome 4 de Journal, j'avais prévu d'en faire
un roman qui aurait dû être publié au Rayon,
chez Balland, collection dirigée justement par Dustan
himself. Le destin en décida autrement. Mais c'est encore
une fois une chance, car je pense que d'avoir réussi, 20
ans plus tard, à en faire la bande dessinée que je
n'ai pas réussi à faire à l'époque correspond
mieux à mon projet artistique qu'un projet littéraire.
Dustan reste une figure importante, bien au-delà
de la polémique sur le barebacking dans laquelle il
fut pris à l'époque, déchirant la communauté
gay en deux camps opposés et très polarisés,
Dustan d'un côté, Didier
Lestrade (fondateur d'Act-up Paris) de l'autre.
C'est d'ailleurs ce dernier qui a fait la préface
du livre. Ce qui boucle une partie de cette immense boucle, aussi
bien personnelle "qu'historique"
dans la mesure
où, préface de Lestrade
mais pages évoquant Dustan, ce
prochain livre "réconcilie" (je l'espère)
ces deux personnalités puissantes de la communauté
gay (bon, la préface étant désormais écrite,
apparemment, non
).
J'espère que mes pages seront dignes de
l'un comme de l'autre, moi qui ai toujours été un
outsider à l'époque. Et aspire à le rester.
Ce que peu de gays, militants ou non, semblent comprendre ; l'idée
des "camps" et des chapelles dans lesquelles il semble
qu'il faille appartenir et se construire, sans quoi nous serions
rejetés dans les Ténèbres extérieures,
continuent à avoir encore de beaux jours devant elles. Je
trouve ça assez triste. D'autant que personne n'est tenu
d'obéir au kit identitaire LGBT pour construire un discours
sur ce qu'est le vécu gay
il me semble que témoigner
humblement et honnêtement de nos vies devrait être une
donnée irréfutable et non critiquable. Mais bon. Je
m'égare.
Cela me fait penser à la querelle des anciens
et des modernes, d'ailleurs
avec la figure de Menu
dans la bande dessinée, si radical et révolté
qu'il fut à l'époque, contre toute la bande dessinée
mainstream. Alors qu'aujourd'hui, il semble s'être
un peu apaisé sur ces questions, et renoue des amitiés
avec des auteurs qu'il aurait ou a fustigés jadis, découvrant
d'ailleurs avec un certain étonnement que pas mal desdits
auteurs honnis lui font davantage preuve de respect que ses anciens
confrères de combats de la "bédéhindé"
qui lui ont plutôt tourné le dos.
Ô, ironie.
De mon côté, ayant toujours détesté
cordialement à peu près tout le monde, je me sens
relativement à l'abri de ce type de trahisons. Je vois davantage
d'hypocrisie et de paternalisme chez les anciens camarades pseudo-révolutionnaires
post-barebackeux de Dustan, devenus
aujourd'hui de vrais petits bourgeois gays parisiens, s'arc-boutant
à leur survivance séropositive comme à une
médaille (le fameux "kit" identitaire), que chez
des gays plus "modérés". Un peu comme Hocquenghem
pouvait le dire dans sa Lettre ouverte à ceux qui sont
passés du col Mao au Rotary, titre valable plus universellement
pour toutes les trahisons de tous les partis révolutionnaires.
Il est assez notable de voir que les anciennes "victimes"
qui devinrent d'authentiques et respectables résistants aux
diverses oppressions (sociales, du corps médical, politiques
)
sont en passe de devenir, désormais, de prévisibles
moralistes, paternalistes, comme ces anciens combattants sourcilleux
qui portent des drapeaux au moment des commémorations.
Il demeure d'ailleurs un vide total de reconnaissance
de tout gay ayant vécu "en province", toujours
vue comme un no man's land "provisoire", un territoire
de transition "d'avant l'émancipation", une place
qu'on doit "quitter" pour "monter à la capitale"
et militer toujours plus métropolitainement en "associations".
Un peu comme le célibat, toujours vu comme un moment transitoire,
provisoire et soluble fatalement dans la vie conjugale comme unique
fin-en-soi.
Il ne faut guère s'étonner qu'existe désormais
la Pride des Banlieues, par exemple
qui souligne partie des
non-questionnés de la Pride générale.
À quand une Pride de la France périurbaine ? Dans
la mesure où les prides au sein des villes provinciales se
contentent de n'être qu'une imitation des prides métropolitaines ?
Quelque part, j'ai l'impression, par mon travail,
en être l'une des (presque) seules voix (ou alors je n'entends
rien et suis aveugle et sourd), le seul gilet jaune : "on nous
parle de la fin du Moule, je leur parle de la fin du Moi [l'absence
de "s" n'est pas une faute ici]". Non, la "province"
ou la LGBTerie "périphérique" n'est pas
un territoire qu'on "quitte" pour aller vivre un séparatisme
confortable en métropole. On a le droit de vouloir défendre
un LGBTisme périurbain, dans un territoire dévasté
et toujours de plus en plus pauvre. Sans les avis ni les "paternités"
des militances de la métropole.
Mais je m'égare encore, probablement. Et c'est un autre sujet.
Sébastien Soleille : C'est un autre sujet,
mais c'est peut-être un sujet clé pour l'accueil de
vos futurs opus. Depuis la publication de Journal, la place
des LGBT dans la société française a évolué.
La loi autorisant le mariage homosexuel, notamment, a probablement
participé à une plus grande visibilité et acceptation,
en moyenne, de l'homosexualité en France. Mais cette acceptation
n'est clairement pas homogène, comme vous venez de le dire.
Elle est sans doute plus importante dans la France aisée
des grandes villes que dans la France périphérique
ou périurbaine que vous décrivez. Votre propos accède
sans doute par là à une dimension plus sociale. Dans
les années 1990 et 2000, vous êtes apparu comme le
héraut du LGBTisme en général. Pensez-vous
que maintenant, la dimension sociale et politique de vote travail
soit davantage susceptible d'être perçue ?
Fabrice Neaud : Tout d'abord, petite correction
sémantique : je sais qu'il est passé dans les murs
et les médias de dire "mariage homosexuel" ou (pire)
"mariage gay" mais c'est une erreur sémantique.
Elle n'a l'air de rien comme ça mais elle essentialise la
fonction du mariage. Or il n'y a pas de "mariage homosexuel"
ou "gay", ce sont les gays qui peuvent se marier (et les
lesbiennes). Ainsi donc est-ce "mariage ouvert aux personnes
de même sexe". Je pinaille mais j'aime faire cette précision.
C'est plus long, je conçois que ce soit chiant, mais "mariage
homosexuel" est un abus de langage si ce n'est un contresens.
Je ne suis, de fait, pas du tout d'accord avec
l'idée que le "mariage" aurait rendu l'homosexualité
(ou les sexualités "alternatives" autres qu'hétéros)
plus "acceptées". Le mariage est une institution
étatique. Qu'il soit enfin ouvert aux personnes de même
sexe est une excellente chose, j'ai d'ailleurs milité en
sa faveur moi-même au tournant des années 2010, quand
la question s'est posée, avec la violence que l'on sait,
en France. Mais le mariage est une des extrémités
du spectre politique et de la visibilité. Il permet de "sanctionner"
une relation de couple qui a déjà passé tous
les obstacles qui précèdent. Et comme ces obstacles
sont non seulement toujours là mais se durcissent à
leur manière (comme je l'ai dit plus haut et ne cesse de
le dire), je crains que cette petite friandise du mariage n'ait
réglé aucun problème, des problèmes
qui se posent en amont.
Si vous vous mariez (entre personnes de même
sexe), c'est qu'une tétrachiée des obstacles qui ont
précédé la constitution de votre couple a déjà
été réglée, que la "vie en commun"
a déjà été possible puis que la "rencontre"
elle-même l'aura été. Voit-on ici le sophisme
que constitue cette histoire de "mariage" comme règlement
définitif des problèmes ? Et ce n'est pas une mince
affaire
ce n'est pas et ce ne serait pas des "restes"
qui "resteraient" à régler, des broutilles,
des "détails"
Ce sont les conditions même
de la rencontre entre personnes de même sexe qui ne sont pas
du tout réglées, je veux dire, techniquement, concrètement.
Elles sont laissées au soin des entreprises privées
(établissements gays ou sites de rencontres ou quelque autre
"espace" des possibles)
mais, étatiquement,
républicainement, et surtout techniquement, les hommes ont
et auront toujours les mêmes obstacles à franchir avant
de se marier : faire son coming out, auprès des amis,
de la famille, vivre dans des espaces quotidiens où l'intime
n'est pas "menacé" par quelque pressions extérieures,
avoir réglé soi-même en amont ses propres obstacles
intérieurs, avoir les moyens concrets, techniques de se "trouver",
de pouvoir rendre pérenne une rencontre
Nous n'avons
ni les moyens ni les mêmes espaces que tout l'espace publiquement
hétérocentré pour rendre la rencontre possible.
Ceux qui disent le contraire sont dans le déni. Le déni
et le privilège. "Ils" ne peuvent voir ou refusent
de voir qu'une grande majorité d'hommes attirés par
les hommes n'ont simplement pas les moyens, techniques, concrets,
ni les armes psychiques, psychologiques, sociales de simplement
"assumer" une homosexualité stable, pérenne,
permettant la "rencontre" puis le couple.
Un exemple simple : imaginez vivre dans un quartier
dit "sensible"
Je sais qu'une forme de discours
assez inquiétant essaie de nous faire croire que certain·e·s
sauraient vivre "autrement" leur homosexualité
mais j'ai un peu du mal à croire que l'épanouissement
en dehors du coming out classique soit possible. Et surtout
d'y vivre une rencontre pérenne, puis la constitution d'un
couple pour aboutir (accessoirement) à un " mariage
" dans certains "milieux", si on ne les quitte pas,
justement.
Personnellement, je sais très bien que si
on m'implantait de force (je sais très bien que volontairement,
je n'y vivrais pas une seconde, ce ne pourrait donc être que
"de force") dans certaines zones périurbaines ou
dans n'importe quel "quartier sensible", on ne mettrait
pas une heure, un jour, une semaine, même un an à me
"repérer" comme homosexuel et que ne commenceraient
pas pour moi un certain nombre de "problèmes".
Déjà que j'en vis encore à 53 ans en plein
centre d'une assez grande ville
alors le mariage, permettez-moi
de pouffer de rire. Sans compter qu'en soi et pour des raisons personnelles,
le mariage ne m'intéresse pas (mais c'est ici un détail
qui ne règle pas l'aspect systémique de l'homophobie
par ailleurs). En règle générale, je persiste
et signe, l'homosexualité "acceptée" n'est
qu'un vaste écran de fumée : on meurt chaque jour
encore de l'homophobie. Et si l'on n'en meure pas, on en bave suffisamment
pour dire que : non, ce n'est pas plus acceptée que ça.
Et cette "acceptation" n'est là que pour rassurer
l'ego politique mou du chibre des bien-pensants.
Concernant la partie "héraut du LGBTisme
en France" (par mes petites uvrettes), même là
je dois rectifier : je pense, au contraire, que le "haut du
pavé" parisiocentré de cette LGBterie me détestait
cordialement
me reprochant des maladresses de termes de ma
part dues à ma simple jeunesse de l'époque.
Je me souviens très bien de l'article, assez
sournois, de Têtu autour de la fin des années
90
qui me reprochait ces maladresses. Et qui n'avait simplement
pas pigé une seule seconde que j'apportais une autre parole,
celle d'un "oublié sur le bas-côté"
de leur militance. Sans compter que j'avais commencé deux
ans auparavant à recevoir une reconnaissance (aussi discutable
fut-elle) de mon milieu professionnel et donc du milieu aussi bien
"BD" qu'un peu plus élargi "littéraire"
que de la part des "militants" bourgeois. On m'a encore
récemment dit que je ne "les avais pas vus"
comme s'il s'agissait encore "d'eux". Alors que ce sont
eux qui ne m'ont pas vu. Ou n'ont pas voulu me voir. Ou ne
supportaient simplement pas d'entendre la parole de ce qu'ils estimaient
être cette part ancienne d'eux-mêmes, jugée quasiment
arriérée. Ce que le mot "province" a toujours
désigné à peu près chez tout le monde,
comme un impensé discriminant.
Je n'utilisais juste pas les bons termes et j'essayais
simplement d'expliquer que l'on pouvait avoir d'autres préoccupations,
en tant que gay "de province", que de défiler au
mois de juin sur un char ou même à côté
et que de se taper dessus concernant la "polémique sur
le bareback", par exemple. Il va bien falloir que les bourgeois
de la LGBTerie comprennent un jour ou l'autre que la diversité
des homosexualités ne peut pas être représentée
seulement par eux. Qu'un gay qui a "monté à Paris"
ne peut pas ou plus parler de l'homosexualité périurbaine
comme s'il y vivait encore.
Ce qui est absolument ironique, c'est que la plupart
des gays plus ou moins militants "montés à Paris"
dans les années 90, comme de parfois caricaturales versions
du Smalltown Boy de Jimmy Sommerville,
que j'appellerais carrément les boomers de la cause
LGBT, se retrouvent souvent, autour de la soixantaine, un peu avant
ou après, à en "avoir marre de tout ça"
et se
replient vers cette "campagne" ou cette "province"
qu'ils ont fui à l'époque. Pour cultiver de l'épeautre,
de la luzerne, leur petit jardin et commencer leur vie"décroissante"
plus ou moins écolo comme de bons petits samaritains "concernés"
par la planète.
J'ironise. Soyons clairs. Je trouve absolument
louable d'interroger notre place sur notre place sur cette planète
et nos responsabilités individuelles et collectives sur des
sujets graves (écologie, transition énergétique,
mobilité douce, transmission des savoirs via des initiatives
locales), je trouve que les LGBTQIA+ n'ont pas moins de responsabilités
et d'interrogations à poser sur leurs propres modes de vie.
Je trouve très bien que qui a vécu dans une grande
ville et a passé la moitié de sa vie à "
s'éclater " grâce aux lieux et aux structures
LGBT permises par ces villes se "calment" avec l'âge
et commencent à envisager une retraite plus douce en revenant
plus ou moins sur leurs terres. Mais que les mêmes ou affidés
jugent les autres vies que les leurs sans tenir compte une seule
seconde des empêchements (pour le moins) structurels qui n'auront
pas permis à d'autres de s'épanouir comme eux et les
jugent, de surcroît, avec la sévérité
que j'ai pu connaître, j'aurais envie de leur demander d'aller
gentiment se faire une cuire une certaine partie de leur anatomie
avec le four solaire décroissant qu'ils se seront fabriqués
dans leur jardin avec un saladier et des feuilles d'aluminium.
Pour répondre donc à votre dernière
question, je dirais simplement que je l'espère mais que je
n'en sais rien. Que je crains que nous soyons tous trop aveuglés
par nous-mêmes, nos limites, nos habitus pour réellement
nous donner la peine de comprendre autrui.
Dans cet immense vide dialectique, dans cet immense
pessimisme qui est le mien, je continue à creuser mon sillon
et suivre mon propre chemin. La solitude qui me fut imposée
autrefois, conséquence de mon isolement, est désormais
choisie. Je la vis mieux. Je ne suis pas moins pessimiste mais je
fais un peu mieux avec. Et comme je suis tout de même parvenu
à m'épanouir, ne serait-ce que sexuellement, un peu
mieux à partir de mes 40 ans (et je sens que ça décline
un peu à partir de maintenant mais, pour l'heure, je le vis
plutôt pas trop mal), au moins cela continue à me donner
l'énergie de "témoigner" des années
les plus dures de ce Smalltown Boy que je fus pendant près
de 40 ans. Et qui n'avait pas pour autant moins de lucidité
ni de capacités d'analyses que les gays mieux nantis et mieux
regroupés. Je demande juste que "leur" parole soit
mise un peu en veilleuse quand je m'exprime à mon tour, ou
d'autres
on a déjà assez des ennemis objectifs
de l'homophobie qui guette à chaque coin de rue ou de tweet
pour ne pas se tirer dans les pattes "entre nous".
Et comme je le dis désormais, à 53
ans : "j'ai passé l'âge qu'on m'explique, j'ai
l'âge qu'on m'écoute".
Cet entretien a été effectué
par e-mail entre décembre 2022 et juillet 2023.
Toutes les images sont © Fabrice
Neaud et les éditeurs (Delcourt, Ego comme X)
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