|
Nu-Men,
tome 1, Guerre Urbaine
25 janvier 2012
46 pages en couleurs
Scénarios et dessins : Fabrice Neaud
Couleurs : Jérôme Maffre
Quadrants
Cet album a été prépublié dans la revue L'Immanquable,
dans les numéros de janvier et de février 2012.
Résumé de l'éditeur
« Lhumanité à laube du
troisième millénaire. Lactivité sismique sétait
soudainement accrue, réveillant le super volcan Yellowstone qui
raya de la carte une grande partie du continent nord américain.
Les éruptions furent suivies dun hiver nucléaire,
de lexode des survivants vers des camps de réfugiés
installés plus au sud, et dune belle pagaille économique
mondiale. Quant à lAfrique, qui subissait depuis si longtemps
la pandémie de Sida, elle ne compte quasi plus
Anton Csymanovski
est sergent de larmée régulière européenne.
Lors dune violente émeute, en périphérie dune
grande ville à la veille dune élection, il se retrouve
coincé sous un immeuble vétuste qui seffondre sur
lui et la petite fille quil voulait sauver.
Simultanément, tous deux sont témoins dun étrange
flash de lumière
Dégagé peu après des
décombres, miraculeusement indemne, Anton passe pour un héros
au micro de médias empressés et avides de sensations. Cependant,
la sécurité intérieure confisque dautorité
la scène de sauvetage quune collègue dAnton
avait filmée. La petite fille, une réfugiée en situation
irrégulière, disparaît aussi soudainement de lhôpital
où on la tenait en observation.
Anton fait certes partie des forces de lordre,
mais tout le pousse à penser que cette agitation cache une étrange
affaire, dans laquelle il va devoir plonger. »


© Quadrants et Fabrice Neaud
Un nouveau départ... dans une certaine continuité
Fabrice Neaud n'avait pas
publié d'album comme auteur complet depuis 10 ans (Les
Riches Heures sont sorties en 2002). En apparence, Nu
Men n'a pas grand chose à voir avec le Journal. Au lieu
d'ouvrages de centaines de pages, en noir et blanc, relatant des récits
intimistes, nous avons ici un album cartonné, en couleurs, de longueur
formatée (le « 48CC » abondamment moqué par
Jean-Christophe Menu) narrant un récit
à grand spectacle. Fabrice Neaud prend
bien un nouveau départ avec cet album. Ce qui peut s'expliquer
par raisons : la difficulté à publier la suite du Journal,
à propos de laquelle il s'est exprimé dans la préface
de la réédition des tomes 1
et 2 du Journal en seul volume, fin
2011 ; le souhait de dessiner une aventure de science-fiction, énoncé
depuis des années (ainsi, dans le tome
(1) du Journal, on voit Fabrice discuter au téléphone
d'un projet de récit de ce type) ; l'amour des comics de super-héros,
largement exposé dans Les Riches Heures
(notamment lors d'une discussion entre le narrateur et Denis).
Cependant le lecteur familier de l'uvre de Fabrice
Neaud ne sera pas complètement dépaysé. En
plus des signes avant-coureurs de ce récit que je viens de relever,
il pourra s'amuser à rechercher les nombreuses correspondances
entre ce nouvel album et des thèmes ou des images chers à
l'auteur. Des traces d'homosexualité sont ainsi présentes,
notamment dans le physique avantageux du personnage principal, Anton Csymanovski,
sergent de larmée régulière européenne,
mis particulièrement en valeur sur la couverture et dans la scène
de la salle de musculation, ou dans la présentatrice du Transjournal,
Lucy Prine. Des ressemblances avec des personnages déjà
connus sont visibles : ainsi Anton Csymanovski semble être la réincarnation
du « Sergent » du Journal (3).
On pourra retrouver dans ce monde futur, extrapolé de certaines
tendances de notre société contemporaine, la continuation
de la critique sociale et des caricatures politiques présentes
dans certaines pages du Journal ou dans des récits courts,
comme le magistral J'appelle à un
octobre rouge (paru en décembre 2003 dans un hors-série
de Beaux-Arts magazine). On découvrira avec plaisir une
nouvelle vue de la cathédrale Saint Pierre dUrstaadt, aboutissement
des études de Fabrice Neaud sur les cathédrales gothiques,
dont on avait déjà pu découvrir certains aspects
lors de l'exposition qui lui avait
été consacrée en 2010 à Angoulême.

© Ego comme X, Quadrants et Fabrice
Neaud
D'un Sergent à l'autre... Extraits de l'édition
augmentée du Journal (3) à gauche et de Guerre
Urbaine à droite.

© Ego comme X, Quadrants et Fabrice
Neaud
Fabrice Neaud apprécie
toujours les mêmes démarches. Extraits des Riches
Heures à gauche et de Guerre Urbaine à droite.
Un récit dense et riche de potentialités
À la lecture de ce seul premier tome, il est encore
difficile, comme la plupart du temps dans ce type d'albums introduisant
une nouvelle série, de se faire opinion définitive sur la
qualité de l'intrigue globale. Il est néanmoins clair que
Fabrice Neaud introduit dans cet album un
univers riche de potentialités narratives.
Nous avons un aperçu, dans ce volume introductif,
de bien des aspects de ce monde de 2050. Sur le plan géopolitique,
il est profondément remodelé par rapport au monde actuel
: un cataclysme volcanique a dévasté les États-Unis,
le Sida a décimé l'Afrique. En Europe, certains aspects,
pas les plus reluisants, de notre société sont extrapolés
: les inégalités sont grandes entre les centres villes et
des banlieues en état d'insurrection récurrente, l'extrême
droite est en plein essor (le Front européen étant crédité
de 27 % d'intentions de vote dans les sondages), les sans papiers sont
traqués ; certaines parties de lEurope (lUkraine en
particulier) ont connu une guerre sanglante. L'ensemble de la société
baigne dans la violence, que ce soit dans la répression des manifestations,
dans les relations quotidiennes, dans le langage parlé (extrapolé
du langage « djeuns » d'aujourd'hui)... La vulgarité
est présente partout, que ce soit au niveau des individus ou des
médias ; la présentatrice du Transjournal, Lucy Prine, est
ainsi particulièrement trash (Fabrice Neaud
pousse d'ailleurs dans cet album la provocation graveleuse plus loin qu'il
ne l'a jamais fait). L'évolution architecturale des villes est
également présentée : les centres villes, de l'Europe
à l'Amérique du Sud, se sont ornés de superbes tours
aux formes variées.
À ce contexte déjà riche, Fabrice
Neaud mêle une intrigue dont nous n'avons pour l'instant
que des bribes : complot de personnages puissants liés aux plus
hauts cercles du pouvoir, expérimentations scientifiques pour créer
des individus surhumains, existence de mystérieux passages spatio-temporels,
etc. La masse d'informations fournie par l'auteur en seulement 46 pages
est conséquente. Les personnages introduits sont nombreux et les
liens entre eux sont encore mystérieux ; plusieurs débuts
d'intrigue sont amorcés et le récit se déplace rapidement
puisqu'il démarre en Sibérie, se poursuit en Europe avec
un intermède dans un mystérieux lieu virtuel et se conclut
en Afrique, Anton Csymanovski y étant catapulté à
la dernière page (annonçant ainsi le prochain tome, Quanticafrique...).
Lensemble des éléments de lintrigue,
pris individuellement, ne sont pas forcément originaux. La force
du récit provient à la fois de la toile de fond, qui poursuit
la critique sociale à laquelle Fabrice Neaud
nous avait habitué dans le Journal, et du rythme parfaitement
maîtrisé de lalbum. Comme à son habitude, lauteur
dose avec habilité scènes daction et temps de discussions,
moments spectaculaires (émeutes, effondrements de bâtiments,
combats) et épisodes plus calmes.
De nouvelles possibilités et influences pour le dessin
Fabrice Neaud s'est toujours
fortement nourri de ses lectures pour les assimiler et les intégrer
à un style très personnel. Il continue à le faire
ici, même si les influences les plus visibles ne sont pas toujours
les mêmes que dans le Journal. Des scènes de destruction
urbaines rappellent Akira, des corps à corps musclés
fleurent bon le super-héros américain.

© Quadrants et Fabrice Neaud
Des héros en vêtements moulants s'empoignant
pour un corps-à-corps musclé... ou l'héritage des
comics américains
Fabrice Neaud nous offre également
de superbes vues de villes, en Europe (planche 7) à Rio et à
Lhassa (planche 45). Il paraît aussi à laise dans ces
superbes panoramiques urbains que pour les paysages montagnards quil
nous avait offert dans Les Riches Heures.

© Quadrants et Fabrice Neaud
Une superbe vue de Rio, légèrement modifiée
(quelques tours modernes ont fait leur apparition)
Enfin, le passage à la couleur seffectue très bien.
Lencrage de Fabrice Neaud est forcément
moins présent que dans ses récits en noir et blanc, laissant
les couleurs de Jérôme Maffre,
apporter leur contribution à lambiance des différentes
scènes.
|
|