Entretien (3ème partie) : Projets
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vers la deuxième partie de l'entretien.
Sébastien
Soleille : Jaimerais maintenant revenir un peu sur Antoine/Émile,
dont nous avons déjà un peu parlé. Vous lui
avez consacré un récit
dans Ego comme X, un roman non publié, vous lavez
évoqué sur laffiche
du festival de Saint-Malo et dans le récit publié
dans Japon et maintenant,
vous parlez de quatre tomes qui lui seraient consacrés...
Pouvez-vous nous dire quelques mots de ces volumes ?
Fabrice Neaud : Cest un peu délicat
mais je pense que je peux essayer.
Tout dabord il est vrai que je tourne un
peu autour de la figure de cet Émile depuis des années.
Je ne sais pas si le lecteur sen est aperçu, en fait
Il est troublant de constater à quel point on me parle très
souvent de « moi » en tant que sujet principal du journal
et quon ne parle quasiment jamais des autres figures qui le
parcourent
À croire que ces figures ne sont que des
fantômes qui ne serviraient que de faire-valoir à la
construction du narrateur
Cest un sentiment étrange
alors que je me suis toujours vu, au contraire, comme un prétexte
à parler de ces figures. Gageons que la figure dÉmile
renversera la tendance mais jen doute.
Lhistoire réelle sest déroulée
essentiellement entre 1998 et 2000. Elle a eu une extension jusquen
2002 mais lessentiel de sa genèse sest passée
durant cette période. En bref, jai rencontré
un Antoine courant fin 1999, déjà repéré
dès 98, et jai voulu raconter cette rencontre. Jignorais
alors que ce récit allait prendre une telle ampleur, bien
évidemment. La véritable rencontre a eu lieu entre
octobre 99 et avril 2000. Or, que se passait-il pile à cette
période, je vous le donne en e-mille ? La parution du tome
3 du Journal ! Et avec sa parution, tout ce qui en a
découlé, avec, notamment, les très violentes
attaques de Smolderen sur le forum Frab.
Nous les avons déjà évoquées. Ces attaques
mont vraiment perturbé. Seraient-elles arrivées
à un autre moment, peut-être auraient-elles été
moins perturbantes, peut-être. Quoiquil en soit, ce
fut en pleine rencontre avec Antoine. Il est évident que
les structures de cette rencontre ressemblant comme dévidence
à celles des rencontres avec Stéphane et Dominique
(figures du tome 1 et surtout
du tome 3 juste paru) je ne
pouvais pas faire un récit reproduisant la même «
névrose » tant reprochée par lapproche
critique médico-paternaliste smolderhaineuse
Je ne
pouvais et navais surtout pas envie quon me reproche
ma soi-disant méthode « prédatrice » concernant
lapproche de mes « modèles ». Je navais
guère envie de « vampiriser » limage dAntoine,
pas plus que je navais eu limpression, de prime abord,
de vampiriser celle de Stéphane ni celle de Dominique. Mais
bon
La conséquence de ces scrupules fut une
censure concernant limage et je nai guère représenté
Antoine. Je suis même allé jusquà lui
inventer un pseudonyme - chose inédite dans le journal -
doù ce prénom dÉmile ! Ce fut le
récit Émile, histoire
en cours
dans Ego comme X n°7. Plus tard, tellement
échaudé, jai même entrepris décrire
cette histoire sous forme de roman, Le Capitaine Émile
À ce sujet, ce roman, Le Capitaine
Émile, sortira-t-il un jour de vos tiroirs ou est-il
définitivement enterré ?
En fait oui. Ce roman devait voir le jour dans
la collection Le rayon, chez Balland, tenu à lépoque
par lécrivain Guillaume Dustan,
sulfureux personnage médiatique que le public connaît
sans doute pour ses apparitions emperruquées chez Ardisson
Javais rencontré Dustan
en 99 lors dun festival de littérature à Charleroi.
Nous avions fini par sympathiser. Il connaissait mon travail et
voyait dun il favorable que je me lance dans lécriture.
Cétait une opportunité.
Hélas, les aléas de lédition
littéraire, plus que bédé, sont plus imprévisibles
encore : le projet ne sest pas fait. Oui, il est définitivement
enterré. Il devait voir le jour en 2001 ou en 2002. Il faisait
près de 500 pages. Mais je pense que ce nest pas une
mauvaise chose que ce pavé nait pas vu le jour. Je
pense que je nétais pas encore au point pour la littérature.
Je crois que ce roman reste très mal écrit
Et
puis le hasard a fait, à ce moment-là, quAntoine
a miraculeusement réapparu dans ma vie en 2002. Si les scrupules
et les critiques mavaient passablement refroidi pour penser
dessiner Antoine, même sous forme dun Émile de
substitution, javais également dautres incapacités
: je navais aucune photographie traitable dAntoine durant
sa longue disparition entre 2000 et 2002 ! Il était à
la fois éthiquement et techniquement impossible de représenter
Antoine
Gageons, finalement, que cette période de remise en question
a été salutaire et que le hasard fait bien les choses
: il ma empêché de dessiner Antoine pile après
la parution du tome 3 tant
critiqué par mes ennemis pour mes méthodes de représentations
dautrui, il ma permis de décanter lhistoire
sous forme de roman que je vois aujourdhui comme un premier
brouillon du récit à venir, et il ma ramené
Antoine plus tard, plus au calme, pour que je puisse de nouveau
envisager sa représentation avec un peu moins de complexes
Ajoutons à cela le principal : dès
la première soirée de retrouvailles avec Antoine et
presque à sa propre demande (il me dit sous forme de boutade
quil trouverait amusant de « se retrouver dans mes pages
» - le pauvre
) jai eu son autorisation pour le
dessiner. Quelques temps plus tard, je réalisais une centaine
de photographies du bougre pour mon futur projet.
Que pouvais-je demander de plus ?
Antoine
a sans doute lu une partie de votre oeuvre (vous dites lui avoir
offert Journal 3)... Mais savez-vous
si Antoine a lu Émile
?
En fait non. Ceci étant, il a disparu au
moment pile (lui aussi) où jai fait paraître
Émile
Ceci
dit, il a ressurgi bien après ; jaurais pu lui offrir
ce récit
Mais par pudeur, je ne lai pas fait.
Pour être tout à fait honnête,
Antoine nest pas au courant de mes sentiments à son
égard. Il ne la jamais été. Encore une
fois, les évènements liés à la parution
du tome 3 mont considérablement
bloqué autant dans ma vie que dans mon travail
Je lui
ai offert le tome 3 du Journal
précisément au moment des violentes attaques dont
jai déjà parlées. Jétais
complètement anéanti. À ce moment-là jai
même été à deux doigts de me déclarer
auprès dAntoine. Javais une envie folle de tout
lui dire mais je savais que ça serait une erreur car, par
la même occasion, je lui aurais dit à quel point je
me sentais sale, laid, monstrueux, pitoyable.
Pour revenir à notre affaire je nai
pas voulu accabler le pauvre Antoine par une déclaration
trop lourde. Je ne voulais surtout pas linfecter à
son tour par la maladie névrotique de mes contempteurs. Et
je crois que jai bien fait. Le résultat en est que
jai obtenu son autorisation pour le dessiner dans mes prochains
livres. Même sil nest pas au courant que lamour
que jai eu pour lui sera le cur battant de ce récit,
il nest pas complètement idiot : je lai photographié
sous tous les angles et lai tenu parfaitement au courant de
lensemble des faits que je compte relater. Je lui ai même
demandé si cela le dérangeait que je parle de son
homosexualité
et Dieu sait que ce type dinformation
est tout de même infiniment plus importante et plus grave
pour un militaire de carrière que ce que jai pu «
dévoiler » de quelques conversations et sorties en
bars et en boîtes de nuit dun étudiant hétérosexuel
!
Bref, non, Antoine ne semble pas avoir lu Émile.
Pas plus que la plus récente Cité
des arbres dans Japon où, si je me souviens
bien, je lui rends son vrai prénom
Les quatre premiers volumes du Journal
ont été publiés entre 1996 et 2002. Depuis
Les Riches Heures en
2002 vous avez publié quelques récits dans plusieurs
magazines ou ouvrages collectifs. Pourquoi ne rien avoir publié
de plus substantiel durant les quatre dernières années
? Selon vous, à quoi est dû ce blocage actuel ?
Je crois que mes précédentes réponses
donnent déjà une partie de léclairage
sur mes actuels blocages
Essayons toutefois de préciser un peu,
si vous le voulez bien : est-ce provoqué par le souhait de
faire autre chose que de la bande dessinée ?
Il est vrai que jai une activité décriture
toujours en cours mais rien ne devrait voir le jour encore avant
longtemps. Ce que jai fait nest vraiment pas très
au point.
Est-ce qu'une pression trop importante après
le considérable succès (d'estime tout au moins) du
tome 3 a également contribué
à vous bloquer ?
Houla ! Comme vous y allez ! Je crois que le tome
3 est le livre qui est demeuré le plus invisible des
quatre parus, du moins à sa sortie. Je nai pas le souvenir
quon aie prêté à ce tome plus quà
un autre lintérêt que peut-être il méritait.
Pour ce que jen ai vu, de surcroît, jai surtout
été violenté par les critiques sur lesquelles
je me suis assez répandues.
Ceci étant, il est vrai que le Journal
a fini par engranger un certain enthousiasme, mais surtout avec
la parution du tome 4 qui a
bénéficié dune couverture presse considérable,
grâce au travail de médiation de Sylvie Chabroux que
je remercie au passage. Je trouve le tome
4 globalement plus faible cependant
Tout le monde peut
ne pas partager cet avis mais jen ai eu aussi de nombreux
témoignages allant dans ce sens, ce qui tend à prouver
que ce nest pas la valeur intrinsèque des livres qui
se « vend » delle-même (je suis convaincu
que le tome 3 est la meilleure
chose que jai produite jusquici) mais sa couverture
médiatique. Je ne vais pas cracher dessus : on a fini par
reconnaître par là une certaine valeur au tome
3 du Journal, mais je trouve ce constat un peu triste.
Est-ce
qu'une certaine mode de l'autobiographie (ou d'un certain type d'autobiographie)
en bande dessinée, a également contribué à
votre blocage, comme vous l'évoquez avec Jean-Christophe
Menu dans votre entretien croisé publié dans
le troisième numéro de l'Éprouvette
?
Ah, là, il est clair que lautobiographie
se « vend », au moins intellectuellement, comme des
petits pains ! On ne compte plus les petits récits de «
lintime » sur les étals
Et il faut bien
dire que la plupart sont de plus en plus médiocres
On dirait que ceux qui se sont pris au jeu de lautobiographie
nont fait que reprendre les structures les plus éculées
du « genre » (ce nen est pas un) pour raconter
ce qui aurait fait rire autrefois, et légitimement, les plus
violents critiques et les auteurs eux-mêmes. Mais je ne vais
pas métaler sur ce que je pense de cette mode, je lai
suffisamment fait par ailleurs, et dans ce fameux numéro
de lÉprouvette, justement. Je ne peux quencourager
les lecteurs à aller y voir, ça vendra un exemplaire
de plus de cet excellent cru.
Enfin êtes-vous inhibé par une
(trop) grande exigence vis à vis de vous-même, peut-être
un peu similaire à celle que décrit Lucas
Méthé dans son article dans le même numéro
de l'Éprouvette ?
Là également. Comme je pense que
jai donné beaucoup avec les pages que jai déjà
produites, jai du mal à réaliser quelque chose
qui, à mes yeux, soit dune qualité au moins
égale
Et comme je trouve que ce qui paraît dans
le « genre » actuellement est très mauvais, jai
un peu honte de faire des pages qui me paraissent tout aussi dégueulasses.
Gageons quEsthétique des Brutes, le titre du
premier livre sur Antoine, passe les écueils et les exigences
que jai dressés tout seul sur ma propre route. Ce nest
pas gagné
Jai beaucoup aimé le texte de Lucas
Méthé où il énumère un
certain nombre de « commandements » ou de simples conseils
de bon sens pour faire de la bande dessinée aujourdhui
Cest un peu les Lettres à un jeune poète
version bande dessinée
Lucas
vivant actuellement à Angoulême, en résidence
à la Maison des Auteurs que je viens de quitter, nous discutons
régulièrement de ces diverses problématiques.
Je crois que nous sommes plutôt en accord sur le constat,
quil me semble faire dans son manifeste, quil faut quitter
cette pseudo « urgence » à faire des livres à
tous prix avec un dessin cursif et rapide, telle que la mode sfaro-trondheimite
la quelque peu imposé. Prendre son temps, ne pas avoir
peur de remuer sa plume sept fois dans lencrier avant de dessiner
ou de dire, ne pas avoir peur du « crayonné »
ni de « lencrage », ne pas crainte la difficulté
du dessin, ne pas exiger de lédition quelle fasse
paraître à tous prix la moindre de nos petites crottes
sous prétexte de « cohérence globale de luvre
», etc. tout cela me paraît sain et de bon sens. Le
miroir aux alouettes de « lactualité »
a créé un nouveau standard « bédé
» qui tend à se confondre avec le seul dessin de presse,
écrire vite, penser vite, publier vite, oublier vite, ce
que jai appelé par ailleurs la pensée par
éditos. La soi-disant santé du « milieu
» ne fait que dissimuler un malaise plus profond : une sorte
de course à labîme où les plus forts écrasent
les plus faibles, les plus productifs écrasent les moins
productifs, Ceux qui se lèvent plus tôt font leur OPA
sur le « travail » en se larrogeant au prétexte
que les autres nont quà faire pareil
Travailler
plus pour gagner plus, publier plus pour être plus vus, en
finir avec la repentance des auteurs qui avaient juste la pudeur
de ne pas se répandre en tous lieux et en toutes occasions
Quest-ce quon rigole, finalement, dans la bébé
sarkozyste !
Nous avons parlé des projets que vous
avez autour d'Antoine, Esthétique des brutes notamment.
Je crois que vous avez également sur votre table à
dessin des projets en cours assez différents de ceux-ci,
et notamment plusieurs chez Quadrant solaire, la collection de Soleil
dirigée par Denis Bajram et Valérie Mangin : Trois
Christs et Europa. Tout dabord quel effet cela
vous fait-il dêtre publié prochainement chez
Soleil, éditeur à la réputation très
commerciale, alors que vous êtes par ailleurs un pilier dEgo
comme X, éditeur exigeant de bandes dessinées dauteurs
? Cela signifie-t-il notamment que vous partagez l'objectif de Denis
Bajram de réaliser une bande dessinée grand public
d'auteur, tel qu'il le présente dans son premier éditorial
(en juin 2006) ?
Mmh.
Je me dois de rectifier quelques informations. Présenter
Quadrant solaire comme une « collection » de Soleil
risque de faire grincer des dents à Valérie
Mangin et Denis Bajram
Je crois que leur projet est de créer un département
éditorial à part, un peu comme Futuropolis est censé
garder sa spécificité tout en étant financé
par Soleil
Je ne souhaite ensuite pas entrer dans les polémiques
qui risquent dalimenter pour de nombreuses années,
encore, les esprits des uns et des autres au sujet de ces diverses
opérations éditoriales. Je ne me suis jamais inscrit
dans ces polémiques, dailleurs. Je crois que jai
une indépendance desprit qui se dégage largement
de ce type de divisions en chapelles. « On » ma
inscrit dans un mouvement « indé », ou que sais-je,
parce que la force des choses et lesprit des temps étaient
à cette inscription. « On » peut me voir comme
un des esprits les plus radicaux de cette chapelle-là. Ça
ne me déplaît pas forcément. La nature même
de mon travail (le Journal) fait sans doute de moi lun
des auteurs francophones les plus serrés du col et du reste
Mais je me fiche comme de ma première chemise des inscriptions
dans des mouvements de pensée qui me dépassent.
Quoi
quil en soit, Valérie Mangin
et Denis Bajram, femme et mari, ont
choisi de créer Quadrant solaire en partie pour se détacher
dune certaine production de léditeur qui les
publie par ailleurs. Je dis peut-être une bêtise : ils
rectifieront deux-mêmes et quils me pardonnent
si je me trompe. Après, je ne suis pas décideur chez
eux : ils publient ce quils veulent. Tout comme je ne suis
pas décideur à Ego comme X. Je ne suis pas forcément
daccord avec tout le catalogue présent de Quadrant
solaire mais, quon se le dise, je ne suis pas forcément
daccord avec tout le catalogue dEgo comme X
et
Ego comme X na pas pour vocation ni intérêt à
publier du comics de super-héros comme je souhaite le faire.
Par ailleurs, je crois que ce serait tomber de
Mars que de ne pas le savoir venant de moi, mais jai toujours
adoré la science-fiction, le fantastique et les super-héros
! Je le dis, je le répète, je le crie et je le pleure
sur tous les tons, les toits et les têtes autour de moi depuis
des années. Et, en ces parages, je préfère
mille fois un bon blockbuster quune parodie, surtout les parodies
à la française qui me font généralement
chier au dernier degré. Il y a mille fois plus dintelligence
dans le comic américain contemporain, ou anglais, ou anglo-saxon,
que dans les 48CC franco-belges de bien de mes collègues
plus ou moins proches. Tout comme nous savons que les récentes
séries télévisées américaines
sont mille fois plus intelligentes que les nôtres voire que
bien des films dits « dauteur ». Ce nest
pas une polémique. Je ne vois même pas que ça
soit discutable. Il y a du bon partout. Il y a du mauvais aussi.
Je sais que dire ça cest faire le lit dune politique
où tout se vaudrait. Je sais que cest faire semblant
dignorer les enjeux financiers qui déterminent le choix
de telle ou telle maison dédition, de tel ou de tel
récit. Je nignore pas ces enjeux. Je sais que les gros
sont en train de boulotter les petits. Mais cela nôte
rien au fait que ma vision reste transversale et que jaime
la science-fiction.
Après, Denis
est un ami de longue date. Il me soutient depuis longtemps et jaime
son travail. Je crois quil ny a pas à chercher
midi à quatorze heures de ce côté-là.
Cest aussi simple que ça.
Concernant
Trois Christ, je vois ça un peu comme une façon
de mettre le « pied à létrier »
dune autre maison dédition. Lhistoire est
simple : il sagit de trois versions différentes de
lhistoire du Saint Suaire au moment de sa disparition au XIVe
siècle, avant sa redécouverte, et par trois dessinateurs
différents, sur trois scenarii de Valérie
Mangin. Pour ma part, je me suis contenté de faire
six pages, deux fois trois, strictement historiques, synthétisant
toutes les informations connues sur le Saint-Suaire. Les trois premières
pages débutent lhistoire du suaire au moment où
il est récupéré à la mort du Christ
jusquà sa disparition et les trois dernières
relatent simplement ce que nous en connaissons de sa redécouverte
à aujourdhui, avec les diverses pistes interprétatives
de son existence. Cette synthèse historique encadre les trois
récits : la vision strictement catholique du suaire, une
autre strictement scientifique ignorant la foi et une troisième
mixant ces deux visions pour proposer une lecture un peu à
la Umberto Ecco
Ainsi, ma participation
à cet album reste-t-elle marginale, bien que je me sois amusé
à faire ces six pages. Jai travaillé sur le
double de mon format habituel, format que je reprends pour travailler
mon comic, histoire dêtre plus précis et moins
elliptique dans mon dessin que je ne le suis parfois dans le Journal.
Quest-ce qui vous a motivé pour
changer de registre ainsi ? Ce type de bande dessinée est-il
plus facile à réaliser pour vous, notamment dans la
mesure où elle ne met en scène explicitement ni vous,
ni vos proches ? Le fait qu'il s'agisse de fictions modifie-t-il
vos méthodes de travail ?
Jai toujours voulu faire ça aussi.
Donc je nai guère limpression de changer de «
registre ». Il se trouve seulement que lopportunité
se présente maintenant. Ce type de bande dessinée
nest en rien plus facile pour moi. Comme jai dénormes
difficultés de dessins et que, je le répète,
je suis une feignasse définitive, cela na rien de plus
facile. Il se trouve juste que, pour des raisons de « droits
», je me dois de dessiner les premiers épisodes de
mon comic
et cest très dur, parce que dessiner
me fait mal aux doigts, au dos et à lâme. Mais
quand jaurai fini cette partie, et si un dessinateur veut
bien prendre la relève (hou hou, les dessinateurs !), ça
devrait rouler. Parce que ce qui est le plus aisé pour moi,
le plus drôle et le plus rapide, cest de faire du story-board
ou du scénario. Je suis plus scénariste, finalement,
que dessinateur. Les gens me voient comme un dessinateur mais cest
faux. Dessiner memmerde, maintenant. Je prends du plaisir
sur quelques dessins, parfois, mais la plupart du temps, je mennuie.
Tous ces dessins transitionnels nécessaires au récit
Pfffff
Alors je sais que certaines feignasses ont trouvé
la solution, en dessinant des bonhommes patates et en torchant cinq
pages par jour avec du gros nez approximatif, tout ça parce
que Scott McCloud leur a dit que le
smiley était plus universel que le dessin fait daprès
photo
mais ce nest pas ma came. Et ce sont précisément
leurs récits qui me font chier à lire. Il ny
a pas à dire, mais quand le dessin est minimaliste et bien
quil serve parfaitement ce quil raconte, on ne le lit
quune fois et on le jette. Un dessin plus élaboré
permet de revenir quand même plus souvent sur le livre. Et
même si lécriture de comics se rapproche de celle
de la série télé, moi, je relis très
souvent les mêmes comics parce quils sont bien dessinés
et que lhistoire me plaît.
Non, je nai pas du tout limpression
de changer de méthode de travail. Certes, je scénarise
davantage, et cest ce qui me plaît. Certes, je mets
moins de voix off dans mes récits, je peux faire des contre
plongées si jai envie alors que le Journal ne se prête
pas vraiment à ce genre de débordements. Mais bon,
dans lensemble, cest vraiment le même boulot.
Et puis les mêmes questions demeurent, parce quil est
hors de question que jabandonne la bonne vieille dure réalité
dans mes fictions. Il y aura des personnages existants, des politiciens,
des personnages publics. Sinon, où est lintérêt
?
Pour Europa, qui sera, semble-t-il, une
histoire de superhéros : Pouvez-vous nous donner un aperçu
de l'idée générale ? En dessinerez-vous une
partie ? Plusieurs tomes sont-ils prévus ?
Le personnage du superhéros, très
présent dans les oeuvres nord-américaines, ou anglo-saxonnes,
est très peu abordé dans la bande dessinée
franco-belge, ou alors généralement sur le mode de
la parodie. Y a-t-il une place et une spécificité
pour des super-héros francophones ?
Lidée générale dEuropa
? Bah, ma foi, ça naura rien doriginal, les super-héros
anglo-saxons ayant déjà considérablement exténué
le genre
Ce seront juste mes super-héros à moi
Et puis Europa est un titre provisoire
Bref, vous exposer
lidée générale ne risque pas de renverser
la planète : des mutations donnant des pouvoirs à
certains individus, certains gouvernements utilisant et optimisant
de manière pas toujours très éthique ces nouveaux
pouvoirs et, au milieu de tout ça, une bande dindividus
plus ou moins paumés (pas tous), qui essaient de trouver
leur route. Je mamuse surtout à créer un institut
détudes des mutants à
Bruxelles, histoire
d« européaniser » la chose. Mais je vous
assure que lintérêt ne va pas se situer tout
à fait là. Bien évidemment, tout va se jouer
sur le rapport quentretiennent les personnages entre eux,
leur rapport au pouvoir mais, le plus amusant, ce sera surtout de
montrer à quel point un super pouvoir nautorise peut-être
pas grand-chose quand on est au Rmi, chômeur ou séropositif
La grande nouveauté pour moi, ce sera lhumour. Nourri
par les dialogues des divers auteurs que jai cités
plus haut, javoue que je me délecte à écrire
des répliques que les uns senvoient aux autres, là
où je me suis toujours gardé de le faire dans le Journal,
qui nest pas spécialement drôle. Mais jinsiste
sur le fait que le récit ne sera pas une parodie ! Jai
horreur de ça. Ça peut mamuser chez les autres
mais pas chez moi. Lhistoire sera réaliste. Il sagit
de simaginer ce que deviendrait le monde sy advenait
une espèce dhumains dotés de super-pouvoirs,
question abordée, par exemple, dans lHypérion
de Michael Strazinsky (et abandonnée
un peu trop tôt, à mon avis). Il sagit de faire
vivre également des gens normaux dans cet univers-là,
des gens sans pouvoirs, dautres qui en ont simplement parce
quils ont celui de largent, des médias ou parce
quils sont au gouvernement. Le gros écueil du comics,
cest de trop souvent ne faire fonctionner ensemble que des
gens à super pouvoirs : on ne voit pas le peuple ! Mais cest
aussi la réussite des comics actuels et notamment dUltimates
(Hitch & Millar)
qui, en ancrant les aventures des héros dans une réalité
très concrète, celle de lAmérique de
Bush, nous les rend très proches. On voit des gens dans la
rue, les héros ne sont pas coupés du monde.
Cest ce qui mimporte. Bien entendu,
de nombreux épisodes ne verront que les héros eux-mêmes.
Mais je tiens très fort à ce que nous voyions le plus
souvent possible les répercussions de leurs actions sur le
monde réel et concret, sur les pauvres gens que nous sommes.
On ne peut pas faire sauter une ville ou ne serait-ce quun
immeuble sans que le monde entier ne soit mis au courant et sans
que ça naffecte douloureusement toute la politique
internationale ou, simplement, la vie des gens localement concernés.
Voyez le 11 septembre : un évènement de cette taille
a modifié considérablement notre rapport au monde
ainsi que la politique mondiale. Authority,
par exemple, que jai beaucoup aimé jusquà
récemment, est parti un peu trop loin sans soccuper
du « peuple ». Les personnages ont de tels pouvoirs
quà chaque nouvelle aventure on y détruit des
métropoles entières. Comment voulez-vous quun
monde survive et soit cohérent dans un tel climat de guerre
incessante ? Impossible. Il seffondrerait totalement. Cest
le problème dAuthority, qui sest un peu
engoncé là-dedans, à mon avis. Alors que la
série parallèle Planetary (Ellis
& Casaday), qui se contente pour
sa part dexplorer léternelle théorie du
« complot », fonctionne bien mieux. Mais Civil War
répond à cette question dans lunivers Marvel
: trop de super-héros, trop de super-vilains et depuis trop
longtemps. Le monde ne peut plus vivre ni survivre dans un tel climat
de guerre civile permanente. Résultat : les gouvernements
mondiaux et, en premier lieu celui des États-Unis, bien entendu,
décident dédicter une loi de recensement de
tous les individus à pouvoirs afin quils travaillent
tous en concertation et aux ordres de leurs gouvernements respectifs.
Au lieu davoir des francs-tireurs ou des groupes indépendants
de francs-tireurs, désormais les super-héros doivent
travailler à la sécurité des gens mais aux
ordres du gouvernement. Cest, en quelque sorte, largument
principal des Ultimates de Millar
Les fameux ultimates (appelés traditionnellement les Vengeurs,
comprenant en leur sein Captain América, Iron Man, Thor,
il de faucon, la Guêpe, le savant Hank Pym et Hulk)
sont directement unis sous la gouvernance du Shield qui nest
autre que lorgane de sécurité principal des
États -Unis
Je minscris dans cette réalité-là. Mais
personnage néchappe au recensement. Ils font tous partie
dun pays. Ils ont tous un numéro de sécurité
sociale, doivent sacquitter de leurs impôts et ont un
compte en banque. Difficile de faire cavalier seul quand on est
citoyen du pays, à moins dêtre hors-la-loi, ce
qui est le ressort principal des scenarii partant de cet incipit
Mais comment penser autrement ? À moins davoir affaire,
toujours et sempiternellement, à quelque mécène
privé et désincarné plein aux as qui vous donne
la liberté dagir
jusquà ce quil
réclame à son tour des résultats en sa faveur
Toute la question est là. Avoir des super-pouvoirs cest
être une arme, et être une arme ne peut se faire sans
intervention de larmée et du gouvernement pour qui
elle travaille. On peut avoir la capacité de rayer une ville
de la carte voire de couper la planète en deux
mais
quel serait lintérêt ? Quand la plupart des héros
aspirent à se faire une place à leur façon
dans le monde, à se rendre un peu utile ou même à
être terroristes, difficile de faire valoir ses droits en
démolissant une ville à chaque épisode ! Arrive
un moment, rapide, où il faut bien rentrer en politique,
dune manière ou dune autre, ou à ranger
ses gadgets sous le matelas
Voilà mes envies. En espérant que ça vous
allèche
et que ça attire des dessinateurs.
Jai limpression de dire des banalités
et denfiler des perles. Ha, ha, ha. Peut-être parce
que cette interview devient super longue, qui sait ? Mais que dire
dautre ? Planetary de Cassaday
et Warren Ellis me renverse vraiment.
Il y a trente idées à la minute chez ces gens-là.
Astonishing X-Men de Cassaday
et Wesdon, cest pareil. Le récent
et immense crossover de Civil War de lunivers Marvel
est vraiment très intelligent, mais House of M qui
lui précédait immédiatement était tout
aussi génial et je ne me remets toujours pas du grand arc
scénarisé par Grant Morrison
sur les X-Men
Il y a aussi Desolation Jones qui est
très bien. Mais que dire des Paradise X, Universe
X et Earth X scénarisés par Alex
Ross ? Bon, ce sont des histoires de geek et peut-être
suis-je un geek mais Donjon, est-ce que ce nest pas
un truc de geek ? Il y a le récent Superman de Morrisson
et Quitely qui renouvelle le genre totalement
et Dieu sait que je nai aucune sympathie pour Superman qui
est le super-héros le plus mal fichu du monde dans sa genèse
! Et que dire des Ultimates dHitch
et Millar ? Et jen passe, et jen
passe
Vous avez apporté à la bande dessinée 'd'auteurs'
un style très neuf. Pensez-vous pouvoir apporter autant à
la bande dessinée 'populaire' ?
Brouf ! Loin de là ! Si toutefois jai apporté
quoi que ce soit à la bédé dite « dauteur
» ! Et quest-ce que la bédé « dauteur
» ? Je me le demande
Les auteurs de mainstream ont-ils
moins limpression de faire de la bédé dauteur
? Je crois que le renouveau sest produit concernant les formes
et les contenus
À cet égard, quoi quen
disent leurs contempteurs, larrivée de lautobiographie
en bande dessinée, du reportage, fut une nouveauté
historique. La prise à bras le corps du récit de vie
et les formes quil a dégagées ne sont pas rien.
Ai-je apporté quelque chose ? Si on le pense, tant mieux.
Jai plutôt limpression quon ma oublié.
Mais cest normal, je nai rien publié depuis cinq
ans.
Bon, cest clair que jai eu quelques ambitions du côté
du Journal, pas complètement raté, peut-être.
Mais jen ai bien moins du côté du super héros.
Mon ambition est surtout de mamuser. Pour lheure, je
ne mamuse pas trop parce que je dois dessiner et que le dessin
me fatigue beaucoup. Mais dès que jaurai fait cette
partie et que lhistoire sera lancée, si des dessinateurs
veulent bien se lancer avec moi dans laventure, alors je suis
certain que je vais mamuser comme un petit fou. Je le vois,
je suis très heureux de faire du story board et du scénario.
Telle est lambition avec la fiction : samuser.
Mais je vous rassure, dès que je reviendrai
à lautobiographie, je vous promets de faire des récits
particulièrement sinistres.
Merci beaucoup pour toutes ces réponses...
Cet entretien a été réalisé
par e-mail entre le 8 juin et le 17 juillet 2007.
Toutes les images sont © Fabrice
Neaud et les éditeurs (Ego comme X et Quadrant solaire)
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